Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 36

  • Petit dico (3) Egoïsme

    « Un égoïste, c'est quelqu'un qui ne pense pas à moi »

    dit Eugène Labiche.

    J'aurais tendance à penser comme lui. Du coup conséquence très angoissante : le monde est plein d'égoïstes. Horreur : l'enfer c'est les autres !

    Mais non pas de panique. Pour ma part personnellement quant à moi, je constate qu'il y a un certain nombre de personnes qui pensent ou ont pensé à moi. Et tenez-vous bien : de bonnes choses. J'ai eu une sacrée chance (méritée faut dire : c'est moi quand même). Et pourtant les probabilités étaient faibles, au regard de la population mondiale, de tomber sur des non-égoïstes dans mon environnement immédiat.

    Quoi ? Tu dis, Surmoi ?

    « Leurs bonnes dispositions à ton égard, ne crois pas que tu y sois pour quelque chose, cela tient juste à leur propre générosité, leur propre positivité. »

    « Oui. Bon. Mettons. (Ce qu'il peut être rabat-joie, lui). Mais le résultat est là. »

    Et en plus, après tout, savoir si l'on pense à vous en bien ou en mal, quelle importance au fond, l'essentiel n'est-il pas d'exister au regard de l'autre ? C'est la jurisprudence dite « papa maman y font pas attention à moi y z'ont pas regardé mon zoli dessin alors ze vais faire un caprice na. »

    Si l'autre, plutôt qu'en termes de beauté, bonté, intelligence et autres innombrables qualités vôtres, pense à vous en termes (inadéquats inutile de le préciser) de nullité, bêtise, égoïsme, à lui de voir. Pourvu qu'il y pense.

    Aphorisons donc cela : L'autre me pense, donc je suis (mais pas forcément ce qu'il pense) (vous suivez ?)

    Puisqu'on est dans l'ergotage, enfin la philosophie, je demanderais bien à Eugène ce qu'il pense de quelqu'un qui ne pense pas à soi. En bonne logique on le définira comme un auto-égoïste, coupable d'égoïsme envers soi-même.

    Complexifions le sujet : l'auto-égoïsme est-il équivalent à l'altruisme ? Autrement dit, suffit-il de ne pas penser à soi pour penser aux autres ? (Voilà qui va occuper Surmoi pour un moment).

    Je disais plus haut que je bénéficie d'un cordon sanitaire contre la méchanceté du monde, constitué d'un certain nombre de non-égoïstes. Mais dès que je m'aventure hors de ce cercle protecteur, je suis comme vous, en butte à la multitude des égoïstes.

    Longtemps j'en ai éprouvé tristesse, ou dépit, ou angoisse, ou colère (et souvent tout ça à la fois). C'était tout le catalogue des passions tristes qui s'ouvrait à ma compulsation dès que je me risquais à la moindre incursion dans le vaste monde et la rugueuse réalité.

    Et puis un beau jour j'ai réalisé que ce n'était pas personnel. Ce n'était pas un égoïsme anti-moi, spécifiquement dirigé contre moi.

    C'était juste un égoïsme de principe, une valeur universelle.

    Consolant, non ?

     

  • Petit dico (2) Nonchalance

    « Pourquoi la défiance envers l'appellation de dictionnaire amoureux ? » Interroge Surmoi dans une feinte naïveté (parce que bon je lui ferai dire, en fait de soupçon sur l'amour, il n'est pas le dernier) (mais je ne vais pas ergoter sinon on n'est pas rendu).

    « Eh bien, amour, haine sont des affects forts. Fortement affectifs. Affectants. Affectés. Des affects quoi ... » réponds-je, car la moindre référence vaguement spinoziste a le don de faire battre Surmoi en retraite.

    « Or il me semble que ce dont j'ai besoin, en ce moment, serait plutôt de me désaffecter »

    « et que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfait. »*, poursuis-je mon raisonnement, dans le tropisme montaignien qui régulièrement polarise mes pensées, avec en général le même effet sur le même Surmoi.

    Me désaffecter, je précise (car le mot peut prêter à confusion pour les oreilles lacaniennes) cesser de prendre les choses à cœur.

    Enfin je parle des choses méchantes, bêtes, laides. Parce que prendre les belles et bonnes choses à cœur, celles qui lui font chaud à lui, là on peut s'en donner à … euh cœur joie.

    Or il se trouve que le méchant bête laid à tenir loin du coeur n'est pas en rupture de stock : politiques minables, guerres interminables, violences abominables, conneries inépuisables (j'ignore qui est en charge de gérer la production, mais c'est du bon boulot chapeau).

    Par conséquent ou bien je raccroche tout de suite mon clavier (et quelle perte pour la littérature universelle) (je ne te le fais pas dire, lecteur), ou bien je dis le seul mot qui convienne : praf.

    « Praf ? » (sursaute Surmoi) « tu es sur la pente régressive je veux bien (enfin non j'aimerais mieux pas tu me connais), mais de là à t'exprimer en langue néandertalienne ...»

    « PRAF, vénéré Surmoi, je t'apprendrai que ça veut dire plus rien à faire**. Pourquoi mon dico ne serait-il pas un dico prafiste, dégoûté, désabusé, désenchanté, blasé … Oui voilà, c'est pile mon état d'esprit ! 

    -Vas-y, c'est ça, complais-toi dans la négativité gratuite. Fais gaffe, je vais tout cafter à Spinoza ... »

    (Oups !) … « Non Surmoi, mon petit Surmoi chéri, fais pas ça j'aurais trop la honte …

    -Bon alors tu m'écoutes un peu.

    -Oui oui.

    -OK je t'autorise la distance, le détachement, mais tu gommes l'aigreur, le ressentiment.

    -Dictionnaire indifférent ?

    -Trop plat.

    -Désintéressé ?

    -Ça va prêter à confusion pour un éventuel contrat d'édition ...

    -Nonchalant ? Oui voilà nonchalant ! Du verbe chaloir. Tout cela peu me chaut, en termes modernes ça ne me fait ni chaud ni froid. C'est exactement en ce sens que Montaigne l'emploie dans la phrase que j'ai citée.

    -Alors, si c'est Montaigne qui le dit, qui sommes-nous pour le contredire ... »

     

    *Essais I,20 Que philosopher c'est apprendre à mourir.

    **cf Brice Teinturier Plus rien à faire, plus rien à foutre sous-titré La vraie crise de la démocratie (Robert Laffont 2017).

     

  • Petit dictionnaire de n'importe quoi (1) Opportunisme

    Depuis quelque temps les éditeurs ont trouvé un nouveau filon. On voit se multiplier sur les présentoirs des librairies, en guise de têtes de gondole, des dictionnaires amoureux de tout et de rien, d'Untel ou Untel (plus rarement Unetelle il me semble mais sans doute manqué-je d'impartialité).

    Filon facile d'exploitation, d'un bon rapport bénéfice/investissement à la fois pour les éditeurs et les auteurs sollicités. Les premiers font appel à des noms connus qui leur garantissent un minimum de ventes assurées, les seconds peuvent pondre le machin sans trop se fouler en puisant dans leurs fonds de tiroirs.

    « N'y a-t-il pas dans tes propos comme un soupçon de jalousie envers les écrivains consacrés et bankable (comme on dit en bon français), toi qui n'as publié qu'un petit livre chez un petit éditeur » (Petit s'entend de l'envergure de la maison, pas de sa mesquinerie – quoique).

    Ainsi parle mon Surmoi, genre je suis le gardien de ta lucidité et de ta conscience éthique. Ma lucidité ça va, Surmoi, et quant à la conscience éthique, à propos du business de l'édition, excuse-moi.

    (Oui je règle mes comptes) (et j'emmerde mon Surmoi).

    Cependant mon propos n'est pas, malgré les apparences, de jeter la pierre à ces braves gens. À leur place sans doute ferais-je pareil. L'opportunisme éditorial fait somme toute moins de dégâts que l'extraction d'énergies fossiles, par exemple.

    Quoique ? ... Non non je laisse tomber les réflexions philosophiques. Après des semaines de Spinoza à haute dose, il nous faut un break, n'est-ce pas lecteur ?

    En fait le truc c'est que dictionnaire amoureux, je trouve la formulation inepte (au sens latinisant où l'emploie Montaigne : in-aptus, qui ne convient pas). Car d'un dictionnaire je ne sais pas vous mais pour ma part je n'attends pas qu'il déclare son amour à qui ou quoi que ce soit. Ses affects, vous voulez que je vous dise, c'est comme ceux de Surmoi, je m'en fiche.

    Tout ça pour dire que j'ai envie d'écrire mon dictionnaire moi aussi y a pas de raison na. Un petit dico de tout de rien et surtout de n'importe quoi.

    Même si je n'ai pas une tête de gondole, je peux encore ramer avec la mienne.