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Le blog d'Ariane Beth - Page 52

  • Comme un fils d'homme (7/9)

    « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu. » (Mtt 5, 8)

    Autant le confesser tout de suite, la notion de pureté me gêne. Elle a été historiquement entachée de connotations surtout sexuelles, et qui plus est essentiellement à destination des femmes. Et continue à l'être en beaucoup de lieux, y compris jusqu'à l'abjection, l'infamie des crimes dits d'honneur.

    Mais même son sens premier, matériel, de non-mélange, peut être dangereux. Isoler un corps pur en chimie, soit. Mais parler de pureté de sang, d'ethnie, de peuple, on sait où ça mène.

    Bien au contraire : « On dit bien vrai qu'un honnête homme c'est un homme mêlé. » (Montaigne Essais III, 9 De la vanité)

    Simplissime formulation d'un caractère essentiel de l'humanisme, que nous nommons aujourd'hui métissage, qu'il soit celui des corps, des cultures, des modes de vie. 

    Mais ici, me dira-t-on, la notion de pureté s'applique aux cœurs. On peut comprendre : les cœurs purs sont des gens « purement cœurs », donc tout entiers dans la miséricorde qui fait l'objet d'une autre béatitude (cf 3/9).

    Mais alors du coup leur pureté de cœur, est-ce Dieu qu'elle leur fera voir, ou les autres êtres humains, particulièrement ceux qui sont dans le malheur ?

    À moins que ce ne soit la même chose ?

    Voilà qui amène à un autre texte évangélique qui pose cette question.

    « Alors (le Fils de l'homme) dira (…) '' Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger et vous m'avez recueilli ; nu, et vous m'avez vêtu ; malade et vous m'avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi.

    Alors les justes lui répondront : '' Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir (etc.) (…)

    Et le roi leur répondra : '' En vérité je vous le déclare, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait''. » (Mtt 25 , 31-40)

    Il s'agit du texte dit du jugement dernier, qui présente ce « fils de l'homme » en gloire condamnant les injustes et accueillant les justes (cf le sens de justice la dernière fois).

    La scène est un must de l'iconographie chrétienne : chapiteaux, portails, tableaux, parmi lesquels de magnifiques chefs d'œuvre.

    Le titre de Fils de l'homme apparaît dans le livre de Daniel. C'est un livre à caractère apocalyptique, c'est à dire qui entend dévoiler le sens des événements. Comme dans l'Apocalypse de Jean, cela passe par des visions ou des songes.

    « En l'an premier de Belshassar, roi de Babylone, Daniel vit un songe et les visions de son esprit sur sa couche. Alors il écrivit le songe. (…)

    Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu'avec des nuées du ciel venait comme un Fils d'Homme (…) Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. » (Daniel 7, versets 1,13,14)

    Le texte évangélique reprend ce motif, mais dans un climat différent. Les justes ne servent pas le roi, mais participent de son règne. En prenant soin des hommes.

     

  • Ils seront rassasiés (6/9)

    « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés. » (Mtt 5, 6)

    Faim et soif : le manque sous sa forme la plus radicale. Manger et boire sont des besoins vitaux. S'ils ne sont pas satisfaits, c'est la mort.

    Il faut donc entendre dans « la justice » en question ici le même enjeu de vie ou de mort. Cette justice consiste à maintenir la vie, à refaire les forces de vie.

    C'est cohérent avec ce que nous avons noté plus haut de la contestation du talion. Il ne s'agit pas d'une justice purement légaliste dont le propos serait d'équilibrer les dommages par des réparations en forme de dommages elles aussi. Ce qui, remarquons-le, aboutit à augmenter les pertes en valeur absolue.

    Au lieu de cela le texte dit « ils seront rassasiés » : rassasier, c'est plus que nourrir, c'est de l'ordre d'une plénitude.

    C'est pourquoi on peut voir dans la justice en question ici l'accomplissement total du projet divin de bonheur pour l'humanité. Ce que souvent le texte évangélique nomme « le royaume (ou le règne) de Dieu ».

    À partir de là, on peut reprendre les remarques précédentes. Comme pour la miséricorde, la paix, la consolation, faire advenir la justice (y compris la justice parfaite de Dieu qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons) c'est l'affaire des hommes.

     

  • L'homme qui donne et l'homme et qui reçoit (5/9)

    « Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés. » (Mtt 5, 5)

    Heureux ceux qui pleurent : autant dire heureux les malheureux, non ?

    Serait-ce le moment cynique, voire sadique, de l'évangéliste ?

    Parce que bon ils seront consolés, mais quand ? Au paradis, dans l'au-delà ? Ils peuvent avoir un doute, comme les enfants à qui l'on dit « on fera ça, tu auras ça. Demain » juste pour se débarrasser d'eux.

    Très vite ils comprennent que demain, souvent ça veut dire jamais. Les enfants et aussi Qohèlet l'Ecclésiaste :

    « Regardez les pleurs des opprimés : ils n'ont pas de consolateur (…) Et moi je félicite les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore en vie. Et plus heureux que les deux celui qui n'a pas encore été, puisqu'il n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui se pratique sous le soleil. » (Qo 4,1-3)

    Qohèlet précise ici ceux qui pleurent : les opprimés. C'est logique si l'on suit la tradition qui attribue le livre au roi Salomon. La justice sociale est en effet, en tous cas devrait être, la préoccupation d'un gouvernant.* Surtout quand il s'agit du plus sage des rois dixit le texte biblique.

    Des opprimés, on en trouvera aussi plus loin dans les béatitudes. Mais dans celle-ci est considérée la seule douleur. Est-ce dans l'idée délétère que la douleur aurait une valeur en soi ? Cette idée obscène, scandaleuse, qui n'a que trop nourri une foi et une piété doloristes. À commencer par l'exaltation des souffrances de Jésus crucifié.

    Chouraqui traduit, de façon plus précise : les endeuillés. Les pleurs sont provoqués par un deuil, une perte, bref un manque. On peut remarquer alors que la notion de manque se retrouve dans une autre béatitude : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice. (On verra ça la prochaine fois).

    En quoi consiste la consolation devant un manque ? Pas à le combler : on parlerait alors de réparation. La consolation consiste, l'étymologie le dit, à ne pas laisser la personne désolée, seule avec sa souffrance.

    Les endeuillés-désolés seront donc consolés à condition, dirait M. de la Palisse, qu'ils trouvent des consolateurs pour tenir cette promesse.

    Ainsi le rapport présent/futur de l'énoncé des béatitudes** peut être lu comme un appel à mettre en oeuvre, à incarner à sa mesure la volonté, le désir divin de bonheur pour l'humanité.

    « Vous serez parfaits comme votre père céleste est parfait » lisions-nous la dernière fois.

    Soit. Mais comme « Dieu est dans le ciel et toi sur la terre » (Qohèlet 5, 1) c'est aux humains qu'il appartient de parfaire cette terre.

    Ou, comme le dit encore mieux Montaigne (en pensant à cette phrase de Qohèlet ?)

    « Quoi qu'on nous prêche, il faudrait toujours se souvenir que c'est l'homme qui donne et l'homme qui reçoit. »

    (Essais II,12 Apologie de Raimond Sebon)

     

    *Je dis ça je dis rien …

    **Trois des béatitudes, cependant, sont entièrement au présent. On verra ça plus loin.