« n°45 : À jamais
''Je viens aujourd'hui, parce que aujourd'hui cela me plaît'' –
Pense toujours celui qui vient pour toujours.
Que lui importe que le monde dise :
''Tu viens trop tôt ! Tu viens trop tard !''
(Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. Prélude en rimes allemandes)
Trop tôt trop tard assigne à une relativité, à une normativité extérieure, à l'évaluation d'un autre, celui qui interpelle ici le « tu ». Trop tôt ou trop tard, toujours à contretemps, et par là ou superflu, ou insuffisant, jamais ce qu'on attend.
Mais le « tu » en question, lorsqu'il prend la parole comme « je », revendique au contraire un rapport absolument libre au temps. Une liberté qu'il fonde sur cela me plaît.*
D'un côté répondre à un besoin extérieur, de l'autre satisfaire à un désir subjectif, au désir qui vous fait sujet. Et qui (ça va sans dire mais mieux en le disant) n'est pas une pulsion, une lubie égoïste, mais un chemin vers une liberté exigeante, responsable, articulée à celle des autres.
Car celui qui vient pour toujours doit aussi venir pour tous.
C'est ce chemin que Nietzsche désigne, un chemin périlleux, présentant tous les dangers d'un chemin de crête. Tous les dangers mais toutes les joies, comme dans ce passage euphorique, c'est le mot, où maintenant fait écho à l'aujourd'hui du quatrain.
« J'ai appris à marcher : depuis ce temps je me laisse courir. J'ai appris à voler : depuis je n'attends plus qu'on me pousse pour changer de place. Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je m'aperçois au-dessous de moi-même, maintenant un dieu danse en moi. » (Ainsi parlait Zarathoustra. Lire et écrire)
*Cela rejoint à mon sens l'acquiescentia in se ipso selon Spinoza, une adhésion à soi libérée de toute comparaison à l'autre.