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Blog - Page 106

  • Cette liberté qui se tient au dessus des choses

    " n°107 : Notre ultime reconnaissance envers l'art.

    (…) L'art, entendu comme la bonne disposition envers l'apparence.

    (…) Comme phénomène esthétique, l'existence demeure toujours supportable, et l'art nous offre l'œil, la main et surtout la bonne conscience qui nous donnent le pouvoir de faire de nous-mêmes un tel phénomène.

    Nous devons de temps en temps nous reposer de nous-mêmes en jetant d'en haut un regard sur nous-mêmes, et, avec un éloignement artistique en riant sur nous-mêmes ou en pleurant sur nous-mêmes ; nous devons découvrir le héros ou même le bouffon qui se cachent dans notre passion de connaissance, nous devons quelquefois nous réjouir de notre folie pour pouvoir continuer à éprouver de la joie à notre sagesse !

    Et c'est précisément parce que nous sommes en dernière instance des hommes lourds et sérieux, et plutôt des poids que des hommes, que rien ne nous fait tant de bien que le bonnet de bouffon : nous en avons besoin à l'égard de nous-mêmes – nous avons besoin de tout un art insolent, planant dans les airs, dansant, moqueur, enfantin et bienheureux pour ne pas perdre cette liberté qui se tient au dessus des choses que notre idéal exige de nous. "

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)

     

  • Des livres si précieux et si royaux

    « n°102 : Un mot pour les philologues.

    Qu'il y ait des livres si précieux et si royaux que des lignées entières de savants sont bien employées si leur labeur permet de conserver à ces livres leur pureté et leur intelligibilité – c'est pour affermir constamment cette croyance que la philologie existe.

    Elle présuppose qu'il ne manque pas de ces hommes exceptionnels (même si on ne les voit pas) qui savent réellement utiliser des livres aussi précieux : – ce seront justement ceux qui font ou pourraient faire de tels livres.

    J'ai voulu dire que la philologie présuppose une croyance noble, – la croyance qu'il faut, au profit d'une poignée d'hommes qui toujours « sont à venir » et ne sont pas là, abattre au préalable une montagne de travail méticuleux et même malpropre : c'est tout entier du travail in usum Delphinorum. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)

     

    In usum Delphinorum, mot à mot pour l'usage des Dauphins : c'est à dire au service de la postérité, des successeurs, sans que celui qui fournit le travail en profite lui-même.

    Nietzsche le philologue s'attela à accomplir ce travail méticuleux. Plus que tout autre, il le fit en assumant son éventuel côté malpropre.

    J'entends par là pour ma part l'idée, je le dis prosaïquement, qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser d'œufs.

    Autrement dit on ne dévoile pas ce que parler veut dire sans découvrir parfois quelques mochetés tapies sous les mots (on voit comment le travail de Nietzsche a pu inspirer celui de Freud).

    La noblesse de la philologie est ainsi paradoxale. Une certaine malpropreté y est au service de la chose la plus noble : la recherche de la vérité.

     

    Notons aussi que ce passage vient compléter celui que je citais hier : nul doute que Nietzsche se range parmi ces hommes exceptionnels (même si on ne les voit pas) qui savent réellement utiliser des livres aussi précieux (et) font ou pourraient faire de tels livres.

    Et d'ailleurs ils les ont faits.

    Car ce sont bien les grands livres d'autres hommes exceptionnels (exemples au hasard Les Essais, l'Éthique) qui ont été in usum delphini pour lui Nietzsche : tout un savoir, toute une une joie de penser, qui ont rendu possible la naissance du Gai Savoir.

     

  • En travers de la gorge

    « n°100 : Apprendre à rendre hommage.

    Les hommes doivent apprendre aussi à rendre hommage, tout comme ils apprennent à mépriser. Tout homme qui emprunte des chemins nouveaux et en a conduit de nombreux autres sur des chemins (constate) avec étonnement à quel point ces nombreux hommes sont maladroits et pauvres dans l'expression de leur reconnaissance, voire avec quelle rareté cette reconnaissance parvient simplement à s'exprimer. On a l'impression que quelque chose lui reste en travers de la gorge de sorte qu'elle ne fait que se la racler et en se la raclant finit par se taire de nouveau. (…)

    Il est parfois besoin de générations entières pour découvrir une simple convention de remerciement courtoise : et c'est seulement très tard que vient le moment où une espèce d'esprit et de génialité a pénétré jusque dans la reconnaissance : alors, il se trouve aussi d'ordinaire un homme qui est le grand bénéficiaire de remerciement non seulement pour ce qu'il a fait lui-même de bien, mais la plupart du temps pour ce que ses prédécesseurs ont amassé progressivement jusqu'à en faire un trésor de choses les plus hautes et les meilleures. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Second livre)

     

    On se demande à qui il peut bien penser, avec ces hommes qui méritent reconnaissance et ne l'obtiennent pas …