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Blog - Page 104

  • Sans des hommes sages

    « n°129 : Les conditions de Dieu.

    ''Dieu lui-même ne peut subsister sans des hommes sages'' – a dit Luther, et à juste titre ; mais ''Dieu peut encore moins subsister sans des hommes sans sagesse'' – et cela, le brave Luther ne l'a pas dit ! »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    Il fallait que ce soit dit. L'ennui c'est que les hommes sans sagesse n'ont aucun mal à façonner davantage l'image de Dieu que les sages, car ils sont beaucoup plus malins, retors, et savent mieux se faire entendre.

    Montaigne ne nous l'envoie pas dire : « L'obstination et ardeur d'opinion est la plus sûre preuve de bêtise. Est-il rien certain, résolu, dédaigneux, contemplatif, grave, sérieux, comme l'âne ? » (Essais III, 8 De l'art de conférer).

    Et cela produit un dégât collatéral : « Il est impossible de traiter de bonne foi avec un sot. Mon jugement ne se corrompt pas seulement à la main d'un maître si impétueux, mais aussi ma conscience. » (Ibid.)

    Un maître oui, souvent, l'homme sans sagesse, car c'est à devenir maître qu'il s'emploie essentiellement. C'est terrible, mais c'est ainsi : « Les méchants savent quelque chose que les bons ne sauront jamais » (Woody Allen)

    Et par conséquent c'est leur vision de Dieu qui prévaut largement. Une vision au mieux absurde, mais hélas souvent abjecte en plus, selon le mot indépassable de Voltaire : « Tu nous a faits à Ton image, mais nous Te l'avons bien rendu. »

     

  • Comme lui

    « n°127 : Répercussions de la religiosité la plus reculée.

    Tout homme qui ne pense pas est d'avis que la volonté est la seule chose qui exerce une action ; vouloir serait quelque chose de simple, du donné, du non-déductible, du compréhensible en soi par excellence. (…)

    La volonté est pour lui une force qui s'exerce de manière magique : la croyance à la volonté entendue comme la cause d'effets est la croyance à des forces qui s'exercent de manière magique. (…)

    Schopenhauer, en admettant que tout ce qui existe n'est que quelque chose qui veut, a intronisé une mythologie qui remonte à la nuit des temps ; il semble n'avoir jamais tenté une analyse de la volonté parce qu'il croyait à la simplicité et à l'immédiateté de tout vouloir, comme tout un chacun : – alors que le vouloir n'est qu'un mécanisme qui fonctionne si bien qu'il échappe presque à l'œil qui l'observe.

    Comme lui, je pose ces propositions : d'abord, pour qu'apparaisse de la volonté, une représentation de plaisir et de déplaisir est nécessaire.

    En second lieu : qu'une excitation violente soit ressentie comme plaisir ou déplaisir, c'est l'affaire de l'intellect interprétant, lequel du reste effectue ce travail la plupart du temps de manière pour nous inconsciente, et une seule et même excitation peut être interprétée comme plaisir ou déplaisir.

    En troisième lieu : il n'y a de plaisir, de déplaisir, et de volonté que chez les êtres intellectuels ; l'immense majorité des organismes ne possède rien de tel. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    J'ai une grosse flemme de me lancer dans une discussion argumentée de ce passage, qui nécessiterait une relecture serrée de Schopenhauer.

    Juste je veux souligner ce qui me paraît le terme déterminant, et Friedrich le souligne lui-même par l'italique dans son texte (ce que je rends par le caractère gras) : interprétant.

    Ce qui amène, deuxième chose à souligner, la proximité de ce passage avec la pensée freudienne : outre la notion d'interprétation, celles de plaisir/déplaisir, travail inconscient de l'intellect. Ce n'est pas un hasard. Freud a lu Nietzsche, et aussi Schopenhauer.

    Ce qui amène la troisième chose que je veux souligner : une chaîne relie l'un à l'autre ces penseurs, qui permet à chacun de tracer la route chaque fois un peu plus loin que son prédécesseur.

     

    Nous sommes au monde comme volonté et représentation, dit Schopenhauer.

    Très bien, dit Nietzsche, mais qu'est-ce qui se cache derrière la volonté, la représentation ? N'y a-t-il pas une généalogie de tout cela, une généalogie de la morale ?

    Exactement, enchaîne Freud, et c'est ce qu'il faut creuser, car cette généalogie s'enracine dans l'inconscient.

     

    Semblable à celle qui relie entre eux les artistes, cette chaîne de la transmission culturelle entre tous les hommes qui pensent (ces trois-là, les autres avant, les autres après) permet aux hommes (y compris ceux qui pensent sans le savoir, qui ne savent pas analyser leur pensée) de tenir le fil de l'humain à travers les âges.

     

  • Il pourrait y avoir l'erreur

    « n° 121 : La vie, nullement un argument.

    Nous nous sommes arrangé un monde dans lequel nous pouvons vivre – en admettant des corps, des lignes, des surfaces, des causes et des effets, le mouvement et le repos, la forme et le contenu : sans ces articles de foi nul homme ne supporterait aujourd'hui de vivre ! Mais cela ne revient pas encore à les prouver. La vie n'est pas un argument : parmi les conditions de la vie, il pourrait y avoir l'erreur. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    Tous ces termes, lignes, surfaces etc. sont une allusion évidente à Spinoza, qui entreprend de traiter des affects en mode géométrique. Spinoza fait de la géométrie un moyen d'observation et de gestion des affects. Pas moins, mais pas plus. Il sait bien, lui aussi, que la vie n'obéit pas à une argumentation, que vivre n'est pas soutenir une thèse. Que c'est plutôt, pour la nature comme pour nous les humains, produire des essais, non au sens universitaire bien sûr, mais au sens de Montaigne.

    Et qui dit essais, dit passage par des erreurs à certains moments, des choses qui ne marchent pas, ou même qui sont nuisibles. L'essentiel est de ne faire qu'y passer. Errare humanum est, perseverare diabolicum, à ce qu'on m'a dit.