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Blog - Page 296

  • Psaume 19 (1/3) Présence

    1 Au chef de chœur. Psaume à David.

    2 Les cieux racontent la présence d'El, et le firmament décrit l'œuvre de ses mains.

    3 Le jour pour le jour exhale le dire, et la nuit pour la nuit vivifie la connaissance

    4 Nul dire, nulle parole dont le son puisse s'entendre.

    5 Leur vibration jaillit par toute la terre, et leurs mots vont aux confins du monde où, pour le soleil, Il a posé une tente.

    6 Et tel un époux sortant du dais, tel un brave, il se réjouit de courir la distance.

    7 Il jaillit de l'extrémité du ciel, son orbe en couvre toute l'étendue : nul n'est caché de sa chaleur.

    8 L'enseignement de YHWH, parfait, convertit l'être, le témoignage de YHWH, fidèle, donne au simple la sagesse.

    9 Les préceptes de YHWH, droits, réjouissent le cœur ; le commandement de YHWH, lumineux, illumine les yeux.

    10 Le tremblement de YHWH, pur, tient à travers le temps ; les jugements de YHWH, vérité, sont justes tous ensemble.

    11 Plus désirables que l'or, que l'abondance d'or pur ; plus doux que le miel, que le rayon de miel pur.

    12 Ton serviteur aussi en est éclairé ; les garder a un effet immense.

    13 Qui comprend ses erreurs ? Innocente-moi de celles qui me sont voilées.

    14 Préserve aussi ton serviteur de l'orgueil, qu'il ne me domine pas. Alors je serai intègre, innocent d'une grande transgression.

    15 Agrée les paroles de ma bouche et les murmures de mon cœur devant ta face, YHWH mon roc, mon libérateur.

     

    Tel un son et lumière, ce psaume fait jouer l'écho entre parole lumineuse et lumière parlante. Le soleil y rayonne, pivot de la métaphore qui donne la structure et le sens du texte (v.7-8).

    Plutôt que créature d'El, il est émanation de sa présence, matérialisation d'un dire indicible (v.4). Vibration au v.5 c'est mot à mot ligne. La ligne, suivant la courbe du soleil, qui relie le livre de la nature et celui de la loi (précisée en enseignement témoignage v.8, préceptes commandement v.9, tremblement jugements v.10).

    L'enchaînement des deux thématiques, contemplation/écoute de la nature, et discours éthique, présente un caractère tout sauf anodin : le passage de la dénomination d'El (v.1) à celle de YHWH (v.8).

    Je l'ai rappelé au début du parcours (Au pluriel), El évoque la puissance d'un créateur/ordonnateur du monde. YHWH relie existentiellement chaque être humain au Nom, lorsqu'il le prononce.

    La partie en El dit la Présence (ou présence cf Nom/nom) dans l'univers.

    Celle en YHWH désigne un chemin éthique à l'être humain.

     

    La question est : quel rapport entre les deux ?

     

  • Fluctuat nec mergitur (2/2) Il vous faut parier

    Souvent la menace que perçoit le poète, malgré sa prégnance, reste floue. Elle ne provoque pas la peur qui sait préciser son objet, mais l'angoisse. L'angoisse est appréhension, c'est à dire le négatif du désir, alors que la mélancolie est son absence.

    Mais dans les deux cas c'est la radicale défaite de l'être. Pas (seulement) la mort réelle, mais la mort psychique, l'atteinte du souffle (ruah) : tout à la fois énergie vitale et inspiration du poète.

    En général l'angoisse repose sur un sentiment de culpabilité, on l'a dit l'auteur des psaumes a lu Freud.

    Il se pense injuste aux autres, néfaste à lui-même. Plus fondamentalement, il fait défaut à « YHWH », échoue à se prononcer pour et dans le nom. Si l'ennemi a le dessus, c'est que je ne mérite pas que YHWH me sauve.

    Qu'il dit. Car il l'espère en même temps, ballotté qu'il est dans les fluctuations d'âme (il a lu Spinoza aussi).

    Ainsi la séquence au ps 39 je suis muet (devant l'ennemi) je n'ouvrirai pas la bouche car c'est toi qui agis (10) éloigne de moi tes coups, je succombe à l'irritation de ta main (11), à la fois demande à YHWH de détourner de lui la main qui châtie, et appel à cette main comme protection contre l'ennemi.

    Ce n'est que dans quelques psaumes, assez rares finalement, que la culpabilité est clairement reconnue, présentée comme réelle, ainsi au ps 51 inspiré de la faute de David (cf Du sans nom à Salomon).

    Quant à la mélancolie irréductible de la condition humaine, sa formulation la plus frappante est peut être la question de Job :

    pourquoi donne-t-il la vie aux êtres amers ? (Jb 3,20)

    La réponse du livre des louanges révèle un des enjeux fondamentaux de la Bible.

    Embarqué dans la haute mer de mélancolie où il est sujet à tous les vagues à l'âme, le poète des psaumes suit par avance le fameux conseil de Pascal il vous faut parier.

    La survie psychique, permettant souvent le sursaut qui rendra possible la survie tout court, repose pour lui sur la version poétique du pari pascalien.

    J'ai peur, je crains qu'Elohim m'ait abandonné, et d'ailleurs il aurait des raisons de le faire. Eh bien, je fais un pari : au lieu de me désoler d'être abandonné, je pose dans mon poème un inaccompli/accompli, il ne m'aura pas abandonné.

    Si j'anticipe le salut dans mon chant, mon chant me sera salut. Ce mouvement, rencontré au cœur du ps 42, est décidément la clé des psaumes. Ni théologie, ni réflexion philosophique et anthropologique abstraites, ils sont le pari d'un poète qui prend au mot le nom pour y inscrire son existence.

     

     

     

     

     

  • Fluctuat nec mergitur (1/2) Creux de vague

    Nombreux sont les psaumes de plainte, les moments d'intense déréliction où le poète se sent submergé, au bord de la noyade. Oui mais, a-t-on envie de lui dire, vous n'y pouvez rien, vous êtes embarqué.

    Dans une triple histoire.

    Son histoire personnelle d'abord, avec proches ou moins proches.

    Parfois compagnons consolateurs, comme les frères du ps 133, d'autres fois hommes de bien, justes parmi lesquels il se sait ou se veut inscrit.

    Souvent il est confronté à l'autre comme ennemi, oppresseur, engagé dans un conflit, de manière parfois incompréhensible (le traître du ps 41 v.10). L'enjeu du conflit est en général interprété dans le cadre de la fidélité à YHWH. Si on lui en veut, c'est parce qu'il témoigne et lutte pour lui.

    D'où la deuxième histoire, les péripéties de l'alliance du peuple avec YHWH, relatées dans de grands psaumes historiques, par ex. ps 78 ou 105-106, récapitulation et interprétation de cette histoire, en particulier de l'exil.

    La troisième histoire est le fait d'être humain, mortel. Le poète l'envisage en mélancolique, notant des sensations caractéristiques.

    Il perçoit son inconsistance et sa précarité de habel (cf Et c'est l'humain) :

    YHWH connaît les pensées de l'homme, elles ne sont que vapeur (ps 94,11) 

    Les fils d'Adam ne sont que vapeur, les fils d'homme ne sont que mensonge. Sur la balance ensemble ils s'élèvent plus que la vapeur (ps 62,10)

    Il est dans la nuit et l'obscurité, la surdité et la mutité, enfermé dans l'humeur sombre, quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle. Enfermement « hystérisé » parfois dans l'image du tombeau. Jusqu'au boutisme du pire, d'où il tire l'argument-choc de l'appel au salut :

    ceux qui se décomposent se lèveront-ils pour te rendre grâce ? Parle-t-on de ton amour dans la tombe, de ta fidélité dans l'anéantissement ? (ps 88,11-12).

    Autre sensation récurrente, l'effondrement et la dissolution de l'être :

    ma vie se consume dans les chagrins, ma vigueur s'effondre à cause de mon iniquité, et mes os sont usés (ps 31,11). Jusqu'au radical hors vie de Je suis une chose perdue (ps 31,13) ou Je parle et fini de moi (ps 39,14).

    À quoi s'ajoute la brûlure, l'assèchement, ainsi la belle métaphore racinienne avant la lettre Ma sève reflua dans la sécheresse de l'été (ps 32,4).

    C'est aussi inversement la noyade, assez souvent dans ses propres larmes : Je dissous mon lit dans mes larmes (ps 6,7).

    Noyade combinée parfois à l'engluement, la déglutition par la boue, dans un mouvement inverse de la venue à l'être de l'adam. Ainsi au début du chef d'œuvre que constitue, au centre du livre, le ps 69 :

    Sauve-moi, Elohim, car les eaux sont venues jusqu'à mon être. Je m'enfonce dans une boue profonde, sans appui, j'entre dans les profondeurs de l'eau, le courant me submerge (v.2-3).

    Bref embarqué, et vraiment mal barré.