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Blog - Page 298

  • Ps 42 (2/5) Son chant avec moi

    Au début du poème, le gros plan sur la biche fascine, l'identification de l'être désirant à l'animal assoiffé piège l'affect. Et l'on risque de négliger l'arrière plan près des cours d'eau, vu comme simple décor de l'image bucolique.

    Au contraire, l'image ne tire son pouvoir signifiant que du rapprochement des deux plans. La métaphore pose l'équivalence : le poète est biche assoiffée, El est eau vive.

    Se plonger dans cette eau pour en rafraîchir son être, la boire ? Non, dit le poète. Moi je crie ma soif en sachant que l'eau est là, tout près. Ce que je dis ici dans ce psaume, ce ne sont ni les paroles d'un homme comblé qui a étanché sa soif, ni celles d'un désespéré perdu dans un désert aride.

    Il y a ma soif, il y a l'eau, et moi je suis dans le cri du désir ainsi mon être soupire après toi Elohim.

    Mes larmes sont mon pain jour et nuit quand tout le jour il m'est dit où est ton Elohim ?(4) Meurtrissant mes os ils m'outragent mes oppresseurs en me disant tout le jour où est ton Elohim ? (11)

    Le désir est douleur dans le sentiment d'abandon face à l'oppresseur. Où est ton Elohim ? Question ironique et sadique que le poète a intégrée.

    Avec les larmes-pain, il remâche les mots de l'amertume, les mots traumatiques : même hors de la présence de l'oppresseur, ils restent inscrits en lui pour y accomplir leur œuvre de sape.

    Mais sous l'évidence aveuglante de ce pouvoir destructeur, le poète continue à affirmer la présence consubstantielle au monde. Le jour YHWH commande son amour, et la nuit son chant est avec moi prière à l'El de ma vie (v.9). Ce verset distingue-t-il deux modalités différentes de présence selon le jour ou la nuit ?

    Il s'agit plutôt d'affirmer que l'amour décisif de YHWH est actif (en cours de procédure, comme on le dirait d'un programme d'ordinateur) de jour comme de nuit, donc métaphoriquement dans le malheur comme dans le bonheur.

    Ainsi il n'y a pas deux chants différents, mais un seul, qui se poursuit de jour en jour, formulé mot à mot Le chant de lui avec moi, prière à l'El de ma vie.

    Un chant qui est la réponse trouvée par le poète à la question torturante où est ton Elohim. Où est-il ? Son chant avec moi.

    Il est dans le fait que je persiste à le chanter, il est ici-même dans mon psaume en train de se faire.

    Le chant vient étayer le sujet (d'où peut être la nomination YHWH émergeant au v.9 ?), soutenir sa persévérance à être malgré la destruction systématique que veut lui imposer l'oppresseur.

    Je le chante donc je suis avec lui.

    Donc je suis, je persiste dans l'être (puisqu'il est l'El de ma vie).

     

     

  • Psaume 42 (1/5) Exil

    1 Au chef du chœur. Illumination aux fils de Qorah.

    2 Comme la biche soupire près des cours d'eau, ainsi mon être soupire après toi Elohim.

    3 Mon être a soif d'Elohim d'El vivant. Quand viendrai-je à la face d'Elohim ?

    4 Mes larmes sont mon pain jour et nuit, quand tout le jour il m'est dit : où est ton Elohim ?

    5 Je me souviens et je verse sur moi mon être : je passais dans la foule, je les menais en procession jusqu'à la maison d'Elohim, cris de joie et de reconnaissance d'une multitude en fête.

    6 Pourquoi t'affaisses-tu mon être, pourquoi gémis-tu sur moi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de sa face.

    7 Mon Elohim mon être s'affaisse sur moi. C'est pourquoi je me souviens de toi depuis la terre du Jourdain, depuis l'Hermon, depuis le mont Mitsar.

    8 L'abîme appelle l'abîme à la voix de tes cataractes, tous tes brisants et tes vagues sur moi sont passés.

    9 Le jour YHWH commande son amour, et la nuit son chant est avec moi, prière à l'El de ma vie.

    10 Je dirai à El mon rocher : pourquoi m'as-tu oublié, pourquoi marcherais-je, sombre, sous l'oppression ennemie ?

    11 Meurtrissant mes os ils m'outragent mes oppresseurs en me disant tout le jour où est ton Elohim ?

    12 Pourquoi t'affaisses-tu mon être, pourquoi gémis-tu sur moi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de ma face, lui mon Elohim.

     

    Dans ce psaume on retrouve la foule en fête du ps 150, le pain des larmes du ps 127, le désir du ps 131 et sa formule-clé mon être sur moi.

    S'y ajoute la thématique de l'oppresseur, l'ennemi, non encore rencontrée et pourtant très présente dans les psaumes, donnant libre cours à l'angoisse du poète, avec la répétition lancinante de la question, existentielle s'il en est : pourquoi ?

    Comme la torah, les psaumes sont répartis en 5 livres. Le ps 42 commence le deuxième livre (42-72) où domine le thème de l'exil, assorti de l'espérance de délivrance. Exil de quoi ?

    Le thème superpose plusieurs plans.

    L'exil est ici réalité historique, avec le rappel de la terre perdue (v.7), des fêtes qui s'y déroulaient librement (v.5). Souvenir de bonheur fortement mis en contraste avec l'oppression subie en terre étrangère (v.10-11).

    Mais cet exil, fruit des accidents de l'Histoire, ne fait que raviver l'exil ontologique, l'exil constitutif de la condition humaine.

    Un exil existentiel jouant lui-même sur deux axes.

    Le poète se découvre exilé d'une relation au peuple et à la figure d'El. Douloureux certes, mais explicable par l'intervention néfaste de l'ennemi. En revanche, elle est déconcertante, perturbante, la constatation d'être exilé de soi-même (v.6 et 12)

    C'est de cet exil-là que monte le cri du ps 42.

  • Ps 131 (3/3) Fort-da

    Freud décrit le jeu d'un enfant jetant de son lit une bobine accrochée à un fil tandis qu'il prononçait un ooo riche de sens, puis tirant le fil pour la remonter, saluant sa réapparition d'un joyeux « da » (voilà, ici).

    Freud entend dans ce ooo le mot fort (parti, loin). L'interprétation alors ne présentait plus de difficultés (phrase où l'on reconnaît bien son Sigmund).

    Il comprend que cet enfant (dont on loue le calme) a trouvé moyen par ce jeu de se dédommager du renoncement pulsionnel nécessaire à accepter le départ de sa mère sans caprice.

    Comment ? En mettant lui-même en scène le départ et retour de sa mère à l'aide d'un objet qu'il peut saisir.

    (Au-delà du principe de plaisir, chap 2 c'est moi qui souligne).

    Qu'en déduire ?

    1) L'auteur du ps 131 a lu Papa Freud de toute évidence (l'inverse aussi est probable).

    2) Le sevrage qui rend à la mère son autonomie ouvre à l'enfant la possibilité de la sienne. La séparation imposée, il la rejoue avec un objet qu'il peut saisir. En faisant comme s'il tenait sa mère au bout du fil, cet enfant se prend en fait lui-même en mains, devient acteur au lieu de subir passivement. 

    L'enfant sevré n'est plus dans le nirvana de la fusion, mais il va se trouver lui même, individu délié, et apprendre à se tourner vers l'autre comme autre. L'enfant sevré sur sa mère entre dans la loi du désir.

    3) Cette loi s'inscrit en lui de manière intra-psychique, posant un des premiers jalons de la construction de sa personnalité.

    C'est ce que le poète note en fine pointe du texte, lorsqu'il substitue au lien archaïque avec la mère le lien du sujet adulte à sa propre existence : comme l'enfant sevré sur moi mon être.

    On le voit, c'est lire ce psaume à faux que négliger les implications précises du terme enfant sevré. C'est rester prisonnier d'une conception du religieux bien caractérisée par Marx dans sa fameuse métaphore d'opium du peuple. L'opium calme la douleur, l'angoisse, mais c'est au prix de l'annihilation de l'énergie et de la lucidité.

    Le ps 131 au contraire n'incite pas à s'écraser devant un Tout-Puissant, à abdiquer sa liberté et son affirmation (avec au cœur un ressentiment qui ne pourra qu'exploser en violence sur les autres).

    Il n'incite pas davantage à calmer son angoisse avec un Tout-Calmant, comme l'opiomane aspire sa drogue, comme le bébé suce le sein.

    Il énonce en son dernier verset le juste lien qui doit unir YHWH et Israël, l'attente et le désir.

    Conclusion : à chacun son fort-da. Ce que le bébé freudien met en scène avec sa bobine, le poète le figure dans l'image de son psaume.