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Blog - Page 297

  • Ps 42 (5/5) Comme un sceau sur ta face

    Récapitulons. La structure du psaume présente la séquence suivante :

    1) le poète affirme son identité de désirant d'Elohim, mais l'éprouve en tension avec la désolation du doute instillé par le sarcasme de l'oppresseur.

    2) il lutte contre cette défaite existentielle, alternant les moments d'abattement (larmes v.4, effondrement début v.6 et 7, noyade v.8) et de ressaisissement, où il tente de s'ancrer dans la mémoire salutaire (souvenir ressource v.5, désir du désir v.6, confiance v.9).

    Au v.9 le psaume semble avoir accompli sa performance de consolation, et apparemment le poète le croit aussi, avec la formule son chant avec moi ce laudo ergo sum comparable au cogito cartésien.

     

    Et pourtant le v.10 relance la plainte, à l'aide des simples mots je dis (ou dirai) : à la fois présent et futur, on a affaire à un inaccompli qu'on pourrait traduire je ne peux cesser de dire .

    En fait les v.10-11 viennent expliciter la teneur du chant-prière du v.9, dans une sorte de mise en abyme : détruit par mon oppresseur, je retrouve la vérité de mon être dans mon chant, mais mon chant dit la seule vérité qu'il puisse dire : que je suis détruit etc.

    Avec ce je dis le poète se dépouille de son volontarisme. Enfin ose s'exprimer le fond de sa pensée : j'essaie de tenir bon dans le souvenir et l'espérance, et toi qui es censé être mon rocher, est-ce que tu tiens bon pour moi ?

    Je me souviens (v.5), je me souviens de toi (v.7) et puis pourquoi m'as-tu oublié ? (v.10). Cruel rapprochement. Je suis atteint dans mes os, au fin fond de moi-même, si bien que ma propre bouche porte vers toi la question-même de mes meurtriers (v.11). Où est ton Elohim, disent-ils.

    Mais oui, c'est vrai : pourquoi m'as-tu oublié ?

    On mesure alors l'énergie nécessaire à endiguer la dissolution de l'être, l'intensité de la lutte pour arriver à inscrire le dernier verset, ne pas laisser finir le poème sur la question mortelle des oppresseurs. Ne pas leur laisser le dernier mot, et sa vie avec.

    Mais que dire ? La seule chose possible, j'existe encore, je suis qui je suis : désir du désir. Alors au v.12 un à un reviennent les mots du v.6.

     

    Et le poète réalise : la face-salut d'Elohim s'est inscrite sur sa propre face. Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de ma face lui mon Elohim.

    Un autre poète biblique (ou le même qui sait) écrit pareillement

    Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car l'amour est fort comme la mort. (Cantique des Cantiques 8, 6)

     

     

     

  • Ps 42 (4/5) Désire encore

    Pourquoi mon être t'affaisses-tu gémis-tu sur moi pourquoi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de sa face (v.6)

    Pourquoi mon être t'affaisses-tu gémis-tu sur moi pourquoi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de ma face lui mon Elohim (v.12)

    Ces versets construisent un effet de refrain, le second présentant une modification légère mais significative.

     

    Mais un regard d'abord sur la suggestive image de l'être qui s'affaisse et gémit sur moi. Je comprends ce sur moi de manière concrète.

    Non pas gémir sur moi seulement au sens de déplorer mon sort, mais comme un geste de repli, de retour sur soi.

    On dirait que l'être, le souffle intime du sujet, vient, pathétique poupée de chiffon, chercher consolation auprès d'un moi (sa figure sociale) implicitement maternel. Image très proche de celle du ps 131.

    Mais ici l'être n'est pas vu comme l'enfant qui doit éduquer son désir exigeant par l'épreuve du sevrage.

    Ici le désir a déserté. Le sujet est vidé de sa force, s'effondre littéralement, en proie à une tragique détumescence existentielle. C'est bien pourquoi le poète exhorte son être dévitalisé à désirer Elohim.

    Il ne propose pas de le prier, de lui offrir des sacrifices ou pire sa souffrance. Non, il s'agit de retrouver l'état de désir du premier verset, où le poète s'est reconnu dans sa vérité profonde.

    En proie à une bipolarité, il connaît tantôt le ressourcement, tantôt le dessèchement qui effondre. 

    Ce qui permet de résoudre l'alternance, c'est de considérer le flux continu qui fait le passage entre les deux.

    Ce qui court sans cesse entre l'assèchement et le ressourcement, c'est cela la tension du désir.

    Où l'on revient à l'image inaugurale de la biche près des cours d'eau.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Ps 42 (3/5) Je me souviens

    Mais le chant est impuissant à faire cesser le sarcasme, de retour au v.11. Cependant il peut développer la vertu d'un viatique pour traverser le temps d'oppression et nourrir l'espoir d'avenir.

    Comment ? Par la remémoration du bonheur passé.

    Je me souviens et je verse sur moi mon être : je passais dans la foule, je les menais en procession vers la maison d'Elohim, cris de joie et de reconnaissance d'une multitude en fête (v.5)

    L'évocation du chant d'hier, le bonheur de fêter Elohim au sein de son peuple est littéralement un ressourcement, lisible dans la séquence des v. 3, 4, 5 Mon être a soif, mes larmes sont mon pain, je me souviens et je verse sur moi mon être.

    En réponse à la soif du moi desséché, d'abord viennent les larmes, comme la résurgence amère de la dérision subie, des insultes bues jusqu'à la lie.

    Mais ces larmes sont une eau empoisonnée qui corrode l'être, comme les mots de l'oppresseur obnubilent la pensée.

    En antidote à ce poison je me souviens et je verse sur moi mon être : en faisant mémoire, je remonte à la source vive de mon être véritable.

    L'acte de résistance à l'oppression devient alors possible dans une sorte de réouverture du temps. Ce qui semble perdu dans le passé va, par la grâce de la remémoration, se projeter dans un futur possible.

    L'accompli (cela a été) comme appui d'un inaccompli (cela peut encore et toujours être) : tel est le passage que met en œuvre l'aspect performatif de la parole.

    Le poète parviendra à persévérer dans l'être en persévérant dans la louange, en ne cessant de la réitérer. Un mouvement dont l'efficacité se lit dans la figure de style qui fonde le poème : la reprise du v.6 au v.12.