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Blog - Page 299

  • Ps 131 (2/3) Un enfant sevré

    Le poète ne veut pas gonfler son ego de vanité, ni regarder de haut, il récuse avec le trop grand une identité en « moi-plus ». C'est à dire un mode de rapport au monde et aux autres combinant orgueil et égocentrisme.

    Mais cette humilité porte l'ambivalence du pharmakon qui peut être remède ou poison.

    Présentée comme facteur d'authenticité de l'être, ne recèle-t-elle pas aussi un risque, celui de son amoindrissement ? 

    Le v.2 est en général compris comme redondance du premier. Cependant le mot à mot dit si ne pas j'ai calmé et j'ai fait taire mon être. Il y a donc encore une négation.

    Lalou et Calame traduisent n'ai-je pas calmé et apaisé mon être ? Le point d'interrogation y rend la valeur hypothétique du « si » (Cf ce même mot dans le ps127 Si YHWH ne bâtit la maison).

    Pour ma part il me semble plus juste de dire, respectant le parallélisme des deux versets je n'ai pas calmé ni fait taire mon être. On me dira oui mais alors que faire de la particule si ? On peut la comprendre, me semble-t-il, par quelque chose comme « dans ce cas ».

    Ce qui enchaîne dans un esprit tout différent les deux versets : je ne me fais pas moi-plus, d'accord, mais ce n'est pas pour autant que cette option me conduit au calme, à l'inhibition et au silence.

    Au lieu de comprendre le v.2 comme un renforcement du v.1, on peut le comprendre comme cherchant au contraire à prévenir la caricature de l'humilité (en effacement, en écrasement) que risquait d'induire ce v.1.

    La possibilité de cette interprétation me semble ratifiée par la suite mon être est sur moi comme un enfant sevré sur sa mère. Sevré est essentiel : si on traduit nourrisson, bébé, ou même petit enfant, on fait de l'enluminure une image pieuse. Le tranchant du texte se perd dans le gnangnan.

    Le sevrage d'un enfant ne se fait pas toujours sans déchirement. Pas facile de renoncer à une relation où l'on fait corps avec sa nourrice, dans un fantasme de toute puissance et de sécurité, dans une bulle narcissique dont on gardera à tout jamais la nostalgie.

    Le sevrage est une étape difficile à vivre, il ne porte ni au calme ni au silence.

    Il a quelque chose de violent.

    Mais non pas de destructeur, au contraire, dit la suite du texte.

  • Ps 131 (1/3) Illumination

    1 Poème des montées à David. YHWH mon cœur n'enfle pas, mes yeux ne sont pas hautains, je ne marche pas dans ce qui est trop grand et difficile pour moi.

    2 N'ai-je pas calmé et apaisé mon être ? Comme l'enfant sevré sur sa mère, comme l'enfant sevré, sur moi mon être.

    3 Qu'Israël attende YHWH, dès maintenant jusqu'en éternité.

    Psaume bref, dont la saturation expressive peut évoquer une illumination à la manière de Rimbaud.

    Il les concevait comme des enluminures médiévales, dixit Verlaine. L'enluminure donne un écho visuel à la lettre, explorant sa forme pour ouvrir des potentialités sémantiques dormantes.

    La lettre, isolée de sa liaison avec l'ensemble des autres lettres du mots, se délie du signifié. En tant que particule élémentaire de la poésie, elle peut alors (tel le noyau atomique soumis à la fission) libérer toute une puissance de signification encore inouïe. Alchimie du verbe et de l'image ensemble.

    Le ps 131 ne construit pas de discours, il laisse parler la lettre d'une image banale empruntée à la vie quotidienne. Le poète (poétesse, non ?) trouve des mots simples de nourrice et de mère, de quelqu'un qui vit dans la proximité de l'enfance, pour atteindre le sens profond de sa relation à YHWH.

    Mais illumination n'est pas évidence. Il faut veiller à mettre à distance les automatismes de signification qui risquent d'endiguer la force du texte.

    Le poème commence par le Nom (j'hésite toujours : majuscule ou pas ?). Est-ce une apostrophe, pour prendre à témoin YHWH ? Une sorte de sceau en YHWH par lequel le poète authentifie sa parole ?

    Le moment de se rappeler que ce nom est support d'identité (cf Au pluriel) (du coup en fait faudrait une graphie inclusive genre le N/nom) (mais bon).

    Justement c'est ce que fait le psaume, poser une identité.

    Elle se définit d'abord par la négative. Avant de dire qui il est, le poète dit qui il n'est pas. Mon cœur n'enfle pas, mes yeux ne sont pas hautains : une attitude que l'on peut qualifier d'humble, à condition de lever les possibles ambiguïtés du terme.

    L'humilité, du latin humus (adama en hébreu) est à entendre, au plus près du mot, comme l'attitude juste du terrien (ou terrestre).

    Ce que le psaume récuse d'emblée, c'est ce que les Grecs nomment hubris. Un faux positionnement de l'humain qui lui fait viser une condition qui n'est pas la sienne, qui n'est pas la condition humaine.

    Oui mais, c'est quoi, la condition humaine ?

    À cette question le psaume va apporter sa réponse.

     

     

  • Ps 127 (5/5) Fils de la paix

    Petit hic : la métaphore du v.4 qui transforme les fils en flèches. Elle m'ennuie beaucoup car elle peut être le support d'une lecture pervertie.

    Elle s'explique certes par le contexte. Ce psaume, comme la plupart, trouve sans doute sa forme définitive et sa place dans le recueil au retour d'exil, vers le V°siècle. Le peuple, passé tout près de la destruction, doit se reconstruire sur de nouvelles bases. « Revenir » au vrai culte, renoncer aux idoles (cf Psaumes « de David »).

    Dans ce contexte faire des enfants (outre honorer la vie) permet de faire nombre face aux peuples environnants, potentiellement ennemis, potentiellement conquérants. Désir compréhensible des menacés, des faibles, des petits.

    Oui mais ce légitime besoin de simple survie peut s'inverser, on ne le sait que trop aujourd'hui encore, en bien des endroits du monde, entre autres celui où vécut sans doute l'auteur de ce psaume.

    La voix des faucons ne cesse d'y couvrir celle des colombes, dans un contexte politique local et international dont la complexité se prête à toutes les manœuvres. Et depuis longtemps les faucons jouent, de part et d'autres, autant des fils utilisés comme de vulgaires pions pour gagner du territoire, que des flèches désormais missiles.

    Le psaume n'évoque pourtant ici ni mur ni barbelés entre les ennemis, mais se termine sur ce mot si simple de porte. Je sais bien qu'il ne faut pas être naïf et que la porte en question peut être celle d'une place-forte, celle par où on peut passer pour guerroyer.

    Mais ici il s'agit de parler. Donc, si les mots ont un sens, miser sur le dialogue et non sur les armes. Se parler entre enfants des deux côtés, chacun jetant ses flèches aux poubelles de l'Histoire.

    La seule façon pour eux tous, les uns et les autres, de ne plus être dévorés sans fin, de part et d'autre de la porte, par la culpabilité de toutes ces morts accumulées. De ne plus faire honte à l'humanité en eux, de ne plus perdre leur face humaine.

    Qu'ils soient soldats, colons instrumentalisés par une politique stupide et contre productive, voire religieux délaissant de façon aberrante la généreuse liberté du livre au profit d'un nationalisme littéralement atterrant, d'une fétichisation de la terre.

    Ou bien qu'ils soient, de l'autre côté de la porte et des check-points, une population tout autant instrumentalisée et fanatisée par nombre de ses chefs. Tout cela pour un seul résultat effectif depuis 70 ans : le triomphe de la mort.

    Le triomphe, en somme, d'une logique sacrificielle perverse, inhumaine, la logique du "mode-idoles" (cf Dors je veille) à laquelle encore, à nouveau, sans cesse, il faut trouver la force de dire non.