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Blog - Page 466

  • "Un court circuit"

    L'autre économie psychique réalisée grâce au Witz est une économie d'effort intellectuel. Et c'est essentiellement celle-ci que réalise le mot d'esprit « non tendancieux », c'est à dire qui ne satisfait ni hostilité ni obscénité. Il fait entendre intuitivement, par le moyen d'une simple allusion, une relation entre deux éléments, deux domaines, qu'il faudrait sans cela démontrer par un raisonnement parfois long et complexe. C'est comme un court-circuit, dit Freud.

    « Ce « court-circuit » est d'autant plus grand que les deux domaines de représentation mis en relation grâce au même mot sont étrangers l'un à l'autre, et que, donc, l'économie réalisée sur le cheminement de pensée grâce au moyen technique du mot d'esprit est importante. »

     

    Il donne en exemple le célèbre mot italien « traduttore-traditore » (traducteur-traître). Il explique que c'est vraiment un « bon » mot d'esprit. Certes il ne provoque pas le gros rire gras, comme le ferait une vacherie, une obscénité. Mais il apporte son comptant d'hilaritas grâce à un plaisir plus fondamental.

    « Nous remarquons chez l'enfant, qui, on le sait, est encore habitué à traiter les mots comme des choses, l'inclination à chercher derrière les sonorités de mots identiques ou similaires une signification identique, inclination qui est source de nombreuses erreurs dont rient les adultes. »

     

    Et Freud d'émettre l'hypothèse que les jeux de mots qui nous font le plus de bien sont ceux où le raisonnement de l'adulte (lié par l'obligation sociale de signification du langage), peut légitimer la croyance enfantine que les mots sont des choses et, comme les choses, « parlent d'eux-mêmes ». Autrement dit ceux qui nous permettent de jouer sur les deux tableaux, d'être à la fois adulte et enfant : court-circuit dans le temps. Mais surtout court-circuit dans le mode de pensée, lorsque la contrainte de rationalité et la liberté de créativité cessent de s'exclure. Là se produit un certain bonheur d'unification, d'attente comblée. Freud le nomme tout simplement « plaisir de reconnaître ». Et de nouveau replace le Witz dans un contexte esthétique plus global.

    « Que la rime, l'allitération, le refrain ainsi que d'autres formes littéraires de répétition de sonorités verbales similaires exploitent la même source de plaisir, à savoir le fait de retrouver du connu, voilà qui est universellement reconnu. »

     

     

    Traduttore-traditore remplit toutes ces conditions. C'est du jeu de lego ou de carambolage entre syllabes, ça rime : plaisir d'enfant. Mais « le traducteur n'est pas seulement un nom similaire à celui de traître, il est aussi une sorte de traître, c'est pour ainsi dire à juste titre qu'il porte son nom », se dit l'adulte qui a compris ce que parler veut dire : substituer au silence parfait du monde des mots toujours imparfaits, toujours insuffisants, toujours discutables. Des traîtres-mots.

  • "Thrift thrift Horatio"

    Hamlet a ces mots cyniques alors qu'il est en train de parler de la pluie et du beau temps avec son pote Horatio (Acte1,sc2). Il est scandalisé par le sens de « l'économie » (thrift) de sa maman remariée sitôt veuve. Une économie qu'il image dans une métaphore : c'est comme si les restes de la viande froide servie à l'enterrement de Papa avaient été réutilisés pour le banquet de remariage avec Tonton.

    Freud aime beaucoup Shakespeare en général et en particulier Hamlet, en qui il voit une magistrale illustration de sa théorie du complexe d'Oedipe.

    « Ce n'est guère un hasard si trois des chefs d'oeuvre de la littérature de tous les temps, l'Oedipe-Roi de Sophocle, le Hamlet de Shakespeare et les Frères Karamazov de Dostoïevski, traitent tous du même thème, le meurtre du père. » (Dostoïevski et le parricide.1928)

     

    Il fait cette citation thrift thrift à l'appui d'une des idées centrales de son livre sur le Witz. Si les mots d'esprit, plaisanteries et autres histoires drôles nous plaisent, c'est qu'ils nous évitent de la dépense psychique.

     

    D'abord en nous permettant de relâcher un peu la répression, fort coûteuse en tension, que nous sommes obligés d'assumer envers certaines de nos tendances, inacceptables pour le fonctionnement social. Elles peuvent au contraire se donner libre cours impunément sous la forme humoristique.

    « Là où le mot d'esprit ne constitue pas une fin en soi (donc dans les cas différents du pur jeu des mots entre eux, dont on causait la dernière fois et auquel on va revenir après ce détour indispensable) il se met au service de deux tendances, qui peuvent elles-mêmes être envisagées d'un point de vue unique : il s'agit soit du mot d'esprit « hostile » (celui qui sert à commettre une agression, à faire une satire, à opposer une défense), soit du mot d'esprit « obscène » (qui sert à dénuder). »

     

    Les mots du prince Hamlet obéissent à ce principe d'économie psychique, laissant libre cours sous forme « plaisante » à l'hostilité/obscénité de ses relations embrouillées à Papa Maman Tonton. On peut d'ailleurs remarquer qu'Hamlet passe son temps à balancer tous azimuts un max de sarcasmes, à Polonius, au Tonton honni, à Maman chérie/détestée, et même à cette pauvre Ophélie qu'il est censé aimer. Hamlet joue avec les mots pour se jouer des gens, et aussi de lui-même, car il est doué pour l'autodérision. Une manière, dira Lacan qui en connaissait un rayon sur l'usage du sarcasme et de l'autodérision, de repousser autant que possible le moment de passer à l'acte. En l'occurrence tuer Tonton qui a tué Papa pour baiser Maman, dixit le fantôme de Papa qui a décidé de pourrir la vie de son fiston en lui faisant régler ses propres comptes. Un must dans le théâtre, comme on voit aussi avec le Cid. Et si ce n'était que dans le théâtre. Mais ne nous égarons pas.

     

     

  • Relâche

    « La technique (des jeux de mots) consiste à diriger notre attitude psychique vers la sonorité des mots au lieu qu'elle le soit vers le sens, à faire en sorte que la représentation (acoustique) du mot prenne la place de la signification, laquelle est donnée par les relations de celle-ci aux représentations de choses. »

    S. Freud Le Witz et sa relation à l'inconscient

     

    Freud parle ici de la catégorie des Witze qui suscitent le rire de façon automatique, en réaction aux carambolages de sons. Comme si le plaisantin, ses mots, et son public rieur étaient pris dans une mécanique commune, constituaient les éléments articulés d'une machine à rire.

     

    Notons d'abord que cette phrase récapitule implicitement le fonctionnement de base du langage. Le mot a pour usage habituel de re-présenter les choses. La mise en relation du mot « tel qu'en lui même » (= le signifiant) avec ce qu'il représente (= le signifié) constitue l'opération de signification. Nous la pratiquons constamment pour communiquer par le langage.

     

    La « fonction signification » du langage met en relation l'ensemble « mots » et l'ensemble « monde ». Par elle, les opérations réelles, ce qui se passe entre les vraies choses du vrai monde, trouvent leur projection dans des discours sur le monde et le réel. Lesquels discours, remarquons-le au passage, construisent une sorte de double du monde, au sein duquel peuvent alors se créer des relations autres que les seules projections du réel.

    Ainsi donc le langage ne sera pas toujours cantonné à sa fonction référentielle de dire le réel. Il peut en particulier s'adonner à un fonctionnement dit poétique dans lequel le mot reprend sa liberté, quitte pour un moment sa place dans la chaîne de signification. Le mot n'est plus employé, ouvrier, il devient son propre patron.

     

    Ce que Freud formule ici : la représentation (acoustique) du mot (c'est à dire donc le signifiant version son – il y a aussi sa version image dans l'écriture) prend la place de la signification.

    On accorde aux mots un moment de relâche dans leur job de représentation, leur rôle de relais entre le monde objectif et la subjectivité du locuteur. Et on les laisse pour un moment s'amuser un peu entre eux.

     

    Or il est facile de constater que lorsque les mots font ainsi relâche, notre tension psychique fait de même. Parmi les formes de comique ou de plaisanterie, celle-ci, ce moment de congé sabbatique de la signification, a le don de provoquer l'affect que Spinoza nomme hilaritas, la joie qui détend, qui dilate, la joie de se lâcher. Oui mais pourquoi ?

    Freud a quelques idées sur la question.