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Blog - Page 467

  • "Pas indispensable"

    "Je doute que nous soyons à même d'entreprendre quoi que ce soit sans qu'une intention entre en ligne de compte. Quand nous utilisons notre appareil psychique dans un but qui n'est pas la satisfaction indispensable de l'un de nos besoins, alors nous le laissons travailler tout seul pour son plaisir, alors nous cherchons à retirer du plaisir de l'activité qui lui est propre. Je suppose que c'est là, d'une façon générale, la condition à laquelle est soumise toute représentation esthétique, mais je m'y connais trop peu en esthétique pour vouloir développer cette proposition jusqu'à son terme."

    S.Freud, Le Witz et sa relation à l'inconscient (1905)

     

    Pour la définition du Witz (ou ce qui s'en approche), je vous renvoie, lecteurs, à ma note éponyme du 1er mai dernier. Car ou bien c'est moi qui reformule ou recopie ladite définition, ou bien vous qui allez chercher dans le blog. Je choisis ce qui m'arrange, en vertu de l'exorbitant pouvoir que me confère ma position blogueuse. Situation semblable, je m'en avise à l'instant, à celle de la fin du film Le bon la brute et le truand. C'est cool d'être du bon côté du flingue et/ou du texte. Bref, lecteur, « toi tu creuses », c'est comme ça.

    En fait, je suis persuadée que ça n'est pas pour toi un problème-bug-souci, que creuser ne te fait même pas peur. Sinon tu ne serais pas arrivé jusqu'à ces mots ici-même, tu aurais décroché dès la 2° ou au mieux la 3° ligne de la citation de Freud.

    Car, c'est là où je voulais en venir (mais parler c'est quoi sinon faire des détours, voir note Blabla du 6 février dernier, ça nous rajeunit pas) ce livre sur le mot d'esprit, la plaisanterie et ce genre de choses, est plutôt un drôle de livre qu'un livre drôle. Il y a bien quelques histoires juives délectablement absurdes. L'ennui c'est que Freud revient en boucle sur toujours les mêmes, analysées de différentes façons à différents moments du livre, dans une construction redondante et circulaire. Mais cela dit, comme redondantitude et circularitage sont souvent mes deux mamelles, je me garde bien de lui jeter la pierre, j'ai trop peur de l'effet boomerang.

    Bon c'est pas tout ça, attaquons la citation avec toute la concision qui s'impose. Qui va peut être finir par s'imposer non sans mal.

     

    1° Rien ne se fait sans intention. Qui n'estpas nécessairement un méga-plan très élaboré. L'intention est souvent une simple tendance à la satisfaction des besoins les plus basiques, et la tentative plus ou moins directe d'y parvenir.

    2° Lorsque le psychisme a l'air de travailler sans intention, c'est qu'au lieu de travailler pour le compte du besoin, il travaille pour son propre compte.

    3° Les activités inutiles, gratuites, absurdes, que se donne le psychisme juste pour le plaisir sont paradoxalement les seules qui lui soient absolument nécessaires pour être ce qu'il est.

     

    4° Parlons spinozien ce sera plus simple, et disons que le Witz (ou autre activité esthétique) est le conatus le plus adéquat de la psyché.     

  • "Des mots de gueule"

    Lorsqu'on est plongé dans un bain de langue étrangère, on se sent d'abord ballotté dans un ressac phonique assez indifférencié. Peu à peu on saisit des récurrences de termes, auxquels on s'agrippe comme à autant de bouées. Et puis on perçoit aussi, surtout, la mélodie affective de la parole, comme en barbotant on se trouve parfois enveloppé d'un courant plus froid ou plus chaud. Voilà une métaphore que j'ai vraiment trop laissé filer, non ? Y a pas que Pantagruel et consorts qui dérivent dans cette histoire. Eux c'est au Nord, moi un peu plus à l'Ouest.

    Bref revenons au texte. Donc ils ne captent rien aux mots en train de dégeler, « excepté un assez grosset, lequel, ayant frère Jean échauffé entre ses mains fit un bruit tel que font les châtaignes jetées en la braise sans être entomées, lorsqu'elles s'éclatent, et nous fit tous de peur tressaillir. »

    C'est la force de l'affect éprouvé lors du dégel (ici tressaillement de peur, mais ce pourrait être un affect d'autre couleur) qui va provoquer ce qu'on ne peut nommer autrement qu'une interprétation.

    « C'était, dit frère Jean, un coup de faucon en son temps ». Ce que frère Jean ressent ici, c'est que l'affect présent vibre sur la fréquence du trauma passé. Transfert réussi qui ouvre la possibilité d'interpréter.

     

    Quant au contenu-même de son interprétation, il a le don de dégeler en moi certain souvenir de ma jeunesse follement studieuse, et d'entendre mon prof de khâgne à la barbe marxiste articuler avec gourmandise : fau-con = faux-con = cul. Et de fait tout est dit. Le son grosset semblable à celui d'un pet est bien celui de toutes les armes à feu, telles les kalach qui pétaradent ici et là de nos jours leur diarrhée de violence dégueulasse. Et les teneurs de kalach ne produisent ce bruit de faux con que parce qu'ils en sont des vrais. Et à quoi se reconnaît un vrai con ? Entre autres et de façon caractéristique, à son mépris haineux et angoissé des femmes, porteuses précisément de cet attribut avec lequel Brassens a « toujours fait bon ménage », en bon rabelaisien. Je ne me souviens plus si le prof alla jusque là dans son interprétation, son propos était plutôt d'insister sur la parole du corps et d'en bas, histoire de nous éviter les erreurs d'un intellectualisme désincarné, et je ne saurais trop l'en remercier.

     

    Pour conclure revenons à nos « mots de gueule », gueule au singulier. L'interprétation est réussie, c'est à dire pas nécessairement évidente ou logique, mais agissante, si, parmi les mots gelés de nos symptômes, il en est qui, dégelant dans le climat serein d'un divan bien tempéré, laissent sortir la voix d'une vérité perdue jusqu'alors dans la profondeur de nos entrailles.

    C'est pourquoi le titre du chap 56 du Quart-Livre est, tout simplement, le résumé du processus analytique :

     

    « Comment, entre les paroles gelées, Pantagruel trouva des mots de gueule ».

  • "Nous y vîmes des mots"

    « Lors nous jeta sur le tillac pleines mains de paroles gelées, et semblaient dragées perlées de diverses couleurs. Nous y vîmes des mots de gueule, des mots de sinople, des mots d'azur, des mots de sable, des mots dorés. Lesquels, être quelque peu échauffés entre nos mains, fondaient comme neiges, et les oyons réellement. Mais ne les entendions, car c'était langage étranger ». Rabelais Quart-Livre chap 56 (suite)

     

    « Les mots de nos discours quotidiens ne sont que magie décolorée », avons-nous lu dans Freud (cf note Avant tout le mot). Ici comme en tellement d'endroits de son œuvre, Rabelais magicien rend aux mots leurs couleurs. Il les désigne en termes d'héraldique. L'héraldique, langage symbolique, construit des blasons dont les couleurs et les éléments codifiés délivrent un message. Le sinople, c'est vert, plus exactement des diagonales vertes descendant de gauche à droite (dit Robert qui d'autre). Sable (qui vient du mot zibeline) c'est le noir. Doré parle de lui-même. Avec azur c'est clair, on dira les mots bleus. Quant à gueules, au pluriel, il s'agit du rouge. Rabelais le met ici au singulier, y a-t-il une raison ?

    Les mots gelés sont donc jetés sur le pont par poignées, au hasard de leur saisie, comme sont déroulées sur le divan les « libres associations », colorées elles aussi : azur pour le blues, sable pour le deuil, sinople pour l'espoir, doré pour tout ce qui brille ou qu'on voudrait voir briller, mais oui j'y vais aussi de mes associations, en héraldiste sauvage. Et gueule alors ? Pour les coups de gueule quand on voit rouge ? Why not. Mais poursuivons.

     

    Une fois échauffés, replacés dans les conditions de la fièvre d'où ils sont nés, les mots sont entendus « réellement ». Voilà une mention qui ne manque pas d'accrocher toute oreille lacanienne qui se respecte, et de suggérer à la tête qui supporte ladite oreille de chercher dans les alentours textuels les acolytes habituels de réel en terre de Lacanie, à savoir imaginaire et symbolique. L'imaginaire est au premier plan depuis le début, avec la fascination de ces paroles belles comme des pierres précieuses, avec aussi le cinéma que se font les voyageurs à propos des angoissants bruits de bataille. Quant à la voie du symbolique, elle s'ouvre par le choix rabelaisien de noter la perception de la couleur des mots en langage héraldique, de les inclure dans un système de signification.

     

    Oui mais « nous ne les entendions (comprenions) pas, car c'était langage étranger ». Le signifiant n'est pas le seul congelé, sous la forme des dragées de couleur, le signifié l'est aussi. On ne sait pas ce que ces mots veulent dire.

     

    Et la petite troupe reste là, désemparée devant ce message venu du passé traumatique, suffisamment fascinant et émouvant pour avoir suscité son désir de déchiffrement, mais qui reste incompréhensible faute de parler la bonne langue.