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Blog - Page 472

  • Tac au tac

    Tac au tac

     

    Parcourant le T de l'ami Robert, j'ai soudain été frappée de voir combien dans un dico les mots semblent être là pour se répondre du tac au tac, et souvent dans la même page. Pas nécessairement de façon polémique, mais comme dans un jeu surréaliste, ou encore dans la pratique analytique de la « libre association des pensées ».

    Jugez plutôt. Page 2499, se font suite les trois mots tala, taleb, taleth. Le châle de prière du judaïsme, l'étudiant du Coran, le mec qui va « t'à la » messe. Si c'est pas un beau syncrétisme, ça. 2499 du coup est peut être la date à laquelle on sait jamais ces trois-là auront définitivement abandonné leurs rivalités de cour de récré (une cour où ça castagne grave) ? En renonçant au fantasme d'une transcendance totalitaire pour trouver le chemin d'un commun humanisme ? On peut rêver, je sais que dans les trois, il y a des gens qui en sont déjà là. Et puis si ça bloque, pourquoi ne pas s'associer à des athées et autres agnostiques pas trop cons non plus ? Ça existe aussi.

    Sinon dans le genre tac au tac, on a quelques jolis couples : tocsin/tohu-bohu, tango/tanguer, termaillage/tripatouillage (allez chercher termaillage tout seuls, indice : rien à voir avec le tricot). Mention spéciale pour toffee/tofu qui s'inscrit dans le plan de lutte contre l'obésité. Pour les surbookés de l'agenda, signalons qu'il faut trouver le bon tempo pour tenir son timing. Une pensée pour ceux qui frisent le burning-out dans un boulot de merde, avec la série taf/trop/traumatisme/travail, qui peut trouver une bonne issue avec taffe. Si fumer tue, au moins ce sera une bonne chose de faite.

    Puisqu'on est dans les réjouissances j'enchaîne avec la série ténébrion/ténuirostre/tracassin/taedium vitae. Non, je ne donnerai pas les définitions, vous vous remuez un peu le Q, pardon le T, vous verrez ça vous sortira de votre déprime.

    Il y a la série sans doute la mieux adaptée à notre situation : tweet, tablette, tabletter. Allez je suis bonne fille, tabletter je vous le donne il est trop chou.

    Tabletter : région. Canada. Fam. (Clairement là Robert se trahit avec Canada fam : son obsession pour les mots canadiens s'explique par le fait qu'il a sa blonde à Montréal …) Mettre à l'écart, sur la touche. Et l'exemple Le sous-ministre s'est fait tabletter.

    J'espère juste que Robert ne va pas se faire tabletter un de ces jours par sa blonde de Montréal, j'adore trop ces mots canadiens.

    Terminons ce tour de l'horizon T par le raffiné « Terza rima ». Pour les amateurs du plaisir d'écrire : il s'agit d'un poème en tercets dont les rimes s'agencent ainsi : a-b-a ; b-c-b ; c-d-c etc. etc.

     

    Chasser les maux ce n'est pas du gâteau

    Heureusement qu'on a un dictionnaire

    Où se raboudiner avec Toto

    J'ai pour copain Robert le débonnaire

    Qui va me chercher jusqu'au Canada

    Pour mes jeux de mots le bon partenaire etc.etc.

     

     

  • Sujet

    Du temps de ma jeunesse, et ça a duré assez longtemps ensuite, lorsqu'on se trouvait soumis à une incertitude, une perplexité, en butte à une difficulté, une complication, confronté à une opposition, un dérangement dans ses projets, en proie à un bouleversement, un tourment, un désarroi, bref quand y avait un hic, un os, un pépin, soit dans les cas graves qu'on se trouvât carrément pris dans un sac de nœuds, soit qu'on n'eût affaire qu'à un truc un peu chiant, on disait « j'ai un problème, un putain de blème ». (En ces temps tout juste postsoixantehuitards, le verbe était hélas peu châtié, je n'ose imaginer quelles incongruités on eût alors tweeté si le tweet eût existé).

    Puis vint l'essor du PC et de l'informatique pour tous, tandis que déclinait l'autre PC et le marxisme ringardisé, que se levait l'aurore triomphante du néolibéralisme, quand vint l'essor de l'informatique pour tous au service du chacun pour soi, on entendit couramment les plus branchés énoncer dans les cas ci-dessus « c'est le bug ».

    Expression qui donne la mesure du désarroi impliqué par la confrontation à la machine, à ses automaticités inhumaines, aux ballottements technologiques n'ayant rien à envier à ceux que subit en son temps ce pauvre Charlot réduit à un rouage dans le mécanisme des Temps Modernes.

    Mais l'homme a des ressources humaines. Des thérapeutes modernes empathiques et philanthropres nous offrirent, contre une rétribution somme toute légère, les clés du travail sur soi qui nous rendrait aptes à mieux gérer le stress induit dans l'entreprise et ailleurs. Le sésame parfait pour huiler les relations, relâcher les tensions prêtes à surgir en toute occasion de rencontre avec ses semblables, ils nous le révélèrent. Il fallait exprimer son ressenti subjectif. Alors nous sûmes livrer nos sentiments : « il y a un souci ». Alors nous sûmes réconforter nos interlocuteurs : « pas de souci ».

    La charge de tant de soucis tous azimuts finit cependant par nous exposer aux affres du burning-out. Car, en humains trop humains, et contrairement aux banques ou aux directoires des entreprises, nous n'avions pas assez mesuré nos investissements. Il fallait remettre de la distance entre nous et nos affects (et surtout ceux des autres), conférer aux rapports humains un cadre dépassionné, redonner droit de cité à la rationalité qui réclamait asile. Raison pour quoi, j'imagine, depuis quelque temps devant un emmerdement, un désaccord, un problème-bug-souci, on dit sobrement, objectivement : « c'est un sujet », voire « un vrai sujet ».

     

    A propos (de vrai sujet, donc moi) j'ai toujours évité de dire souci car je suis un peu phobique. Quant à dire sujet lequel ? De thèse, grammatical, cartésien, inconscient, soumis à un despote ? J'en reste donc à problème, qui touche je ne sais quelle fibre en moi, amour des math, nostalgie de ma jeunesse … Sans me vanter j'ai donc des problèmes, et je n'ai que ça. Quant à les résoudre, n'entamons pas le sujet.

     

     

  • Raboudiner

    Nous sommes à l'école maternelle Saint-Robert, vendredi après-midi. Et le vendredi après-midi à Saint-Robert, c'est atelier pâte à modeler.

    « Bon les enfants, vous raboudinez un peu la pâte et puis vous façonnez votre figurine … Voilààà c'est bien …

    Regarde, regarde, maîtresse !

    Oui Toto ? Arrgh ! C'est quoi cette hor ... C'est bien Toto, ton euh … Euh ?

    Un rat, maîtresse, il est beau, j'a fait le plus beaucoup boudiné que j'a pu ! »

    Vous avez un doute sur l'authenticité du sens que je prête à raboudiner dans une tranche de vie venue illustrer ce sémantisme abscons ? Je vous laisse en décider en votre âme et conscience. Juste je vous pose la question, si raboudiner n'est pas acrabouiller un morceau de pâte à modeler sur un espace plan, avant de le bloutchiquer en une forme vaguement oblongue qu'on allonge en la roulayant sur le même espace plan, c'est quoi alors raboudiner ?

     

    A propos de pâte à modeler, raboudiner, j'entends le mot lui-même, se prête à merveille à un jeu que Leiris (ethnologue et écrivain français 1901-1990) a nommé Souple mantique et tics de glotte. En effet, comme Toto le raboudinage sur pâte à modeler dans la classe des moyens de l'école maternelle Saint-Robert, on peut pratiquer le raboudinage sur la pâte à mots, appelée communément langue. Pour cela prendre un mot. Ici ce sera le mot raboudiner, car on l'a sous la main autant que sur la langue, et pourquoi se compliquer la vie, elle est déjà pas si facile depuis qu'on a quitté la classe des moyens de Saint-Robert.

    Décomposer le mot, puis recomposer autrement les syllabes et lettres. Exemple. Raboudiner pourra donner : rat, boudiné (mots remarquablement figurés par Toto dans son raboudinage à Saint-Robert), rab, où, dîner. Ça c'est évident. Et puis il y a aussi : rabbin, rabot, adouber, barouder, bouder, boudin, bouée, bidet, radin, radis, radiner etc.

    En piochant dans la liste ainsi obtenue, écrire une « définition » pour le mot de départ. Exemple. Raboudiner : « ne pas être radin en rab au dîner, pour le besoin des bouées de gros boudins. »

     

    Ici ma pointilleuse déontologie me souffle que je n'ai pas le droit de vous laisser ignorer plus longtemps le « vrai » sens, robertiquement homologué.

    Raboudiner : mot de l'Ouest (Normandie) d'origine inconnue. Région.(Canada) fam. (Entre nous Robert a l'air super branché Canada cf Job)

    1 Rafistoler, bricoler. 2 Bafouiller, marmonner. 3 v.pron. Se recroqueviller

     

     

    Vexé, tout raboudiné sur sa table, Toto finit alors de raboudiner son rat en pâte à modeler, non sans raboudiner en son for intérieur : « Y plaît pas à la maîtresse mon rat, m'en fous je le donnerai à ma Maman, na ! »