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Blog - Page 80

  • Marguerite et Hadrien (1/7) N'employer que des pierres authentiques

    Je viens de relire Mémoires d'Hadrien. J'en ressors éblouie. Quel grand livre ! Et quelle grande dame que Marguerite Yourcenar ! (je sais c'est pas un scoop, mais la constatation m'en atteint à nouveau aujourd'hui, comme un coup de poing, un coup au coeur plutôt).   

    Mon édition est complétée de ses Carnets de notes de 'Mémoires d'Hadrien'. Entrer ainsi dans le processus de création, son déclenchement, ses moments de fulgurances, de doute, de lassitude, et surtout la continuité patiente, durant trente ans, du travail d'imprégnation, travail à la fois actif et passif, c'est passionnant, émouvant.

    Je me suis fait une réflexion (banale peut être pour beaucoup mais je ne m'y étais jamais arrêtée vraiment) : quand on est jeune, du temps des études, et même pas mal de temps après, en fait on ne s'étonne pas plus que ça devant les chefs d'œuvre.

    On les admire, on les aime certes. Mais on se dit (pour ne citer que des français, et sur une période brève) : ah oui Madame Bovary, le Rouge et le Noir, Germinal, Illusions perdues, Le Temps retrouvé … oui oui. Ça paraît naturel, évident, comme un paysage familier, ou la silhouette d'un bâtiment connu.

    Et puis en vieillissant, surtout si l'on se mêle soi-même d'écrire, on réalise le prodige que c'est de créer un si grand livre, un de ces livres dont on se dit : il y a un avant et un après.

    Prodige d'inspiration, de travail, de persévérance, d'intelligence. Les notes de Yourcenar font ressortir, outre son génie, sa probité d'écrivain. Elle dit des choses très belles, très fortes, sur sa façon de s'effacer derrière son sujet et son personnage, non pas par une distance factice, mais au contraire en se laissant investir par lui, dans une relation juste, loyale.

    Je vais vous en livrer dans les jours qui viennent quelques courts extraits, en commençant par celui-ci qui me semble en condenser l'esprit.

     

    « Quoi qu'on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. Mais c'est déjà beaucoup de n'employer que des pierres authentiques. »

     

  • Libre notre art gai notre savoir

    « Au mistral (chanson à danser)

     

    Vent mistral, chasseur de nuages,

    Tueur de chagrin, nettoyeur du ciel,

    Mugissant, que je t'aime !

    Ne sommes-nous pas tous deux d'un unique sein

    Les prémices, à un unique sort

    Prédestinés éternellement ?

     

    (…) Danse à présent sur mille dos,

    Dos des vagues, ruse des vagues –

    Salut, qui crée de nouvelles danses !

    Dansons donc de mille manières,

    Libre – soit appelé notre art,

    Gai – notre savoir !

     

    (…) Et pour qu'éternelle soit la mémoire

    D'un bonheur tel, recueille son legs,

    Emporte la couronne dans les hauteurs !

    Lance-la plus haut, plus loin, plus loin encore,

    Vole jusqu'en haut de l'échelle des cieux,

    Accroche-la – aux étoiles ! »

     

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir. Appendice : chansons du prince Vogelfrei)

     

    Cette fin littéralement en apothéose peut évoquer beaucoup de choses, d'images (surtout pour la Provençale familière du mistral que je suis). Je laisse le lecteur, la lectrice, à leurs évocations personnelles.

    Je pose simplement en contrepoint les mots d'un autre poète

     

    « J'ai tendu des cordes de clocher à clocher

    des guirlandes de fenêtre à fenêtre

    des chaînes d'or d'étoile à étoile

    et je danse »

     

    (Arthur Rimbaud. Phrases)

     

     

  • Attendre sans rien attendre

    « Sils-Maria

     

    J'étais assis à attendre, à attendre, – sans rien attendre,

    Par-delà bien et mal, jouissant tantôt de la lumière,

    Tantôt de l'ombre, tout jeu seulement,

    Tout lac, tout midi, tout temps sans but.

     

    Et soudain, amie ! Un devint Deux –

    Et Zarathoustra passa devant moi. »

     

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir. Appendice : chansons du prince Vogelfrei)

     

    L'écriture de Zarathoustra fut probablement commencée durant celle du Gai Savoir. C'est que les deux œuvres sont de conception jumelle, nombre de thématiques renvoient de l'une à l'autre. Simplement chacune se façonne, prend forme, selon sa modalité propre.

    Quant à ce poème de suspension du temps, de faire-corps avec le monde : magique, non ?