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Blog - Page 83

  • En eux son destin

    « n°345 : La morale comme problème.

    Le manque de personne se fait payer partout ; une personnalité affaiblie, amenuisée, éteinte, qui se nie elle-même et renonce à elle ne parvient à rien de bon, – et moins que tout à la philosophie.

    ''L'abnégation'' n'a aucune valeur ni au ciel ni sur la terre ; les grands problèmes exigent tous le grand amour, et seuls en sont capables les esprits forts, complets, sûrs, qui ont en eux-mêmes une assise ferme.

    La différence est absolument considérable selon qu'un penseur a un rapport personnel à ses problèmes, de sorte qu'il possède en eux son destin, sa misère et aussi son bonheur le meilleur, ou au contraire un rapport impersonnel : c'est à dire s'il ne sait les palper et les saisir qu'avec les antennes d'une pensée froide et curieuse. Dans ce dernier cas, il n'en sortira rien, on peut l'assurer. (…)

    Comment se fait-il, maintenant, que je n'aie encore rencontré nul homme, pas même dans les livres, qui se soit comporté en personne à l'égard de la morale, qui ait connu la morale comme problème, et ce problème comme sa misère, sa torture, sa volupté, sa passion personnelles ?

    (…) Personne, par conséquent, n'a encore examiné jusqu'à présent la valeur de cette médecine célèbre entre toutes que l'on appelle morale : ce pourquoi il est nécessaire avant tout de la – mettre en question. Eh bien ! Telle est justement notre tâche. – »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Cinquième livre)

     

    Friedrich a certes raison : impossible de penser vraiment sans rapport personnel aux problèmes que l'on pense. Précisément : personnel. Donc selon sa façon, son mode propre (qui est combinaison de caractère spontané et d'assimilation d'expériences).

    Pour lui OK ce mode consiste à se jeter à corps perdu dans l'acte de penser.

    Mais pour d'autres, ce sera commencer par palper précautionneusement de ses antennes le territoire. En fait l'authenticité de l'investissement personnel se voit à ses fruits. Et dire des pensées précautionneuses il n'en sortira rien, on peut l'assurer c'est aller un peu vite en besogne.

    Et pareil pour ce qu'il dit de l'absence de rapport personnel à la question morale chez ses prédécesseurs : grosse mauvaise foi quand même. Et Spinoza alors ? Et Montaigne ? Et Pascal ?

     

  • On aura compris

    « n°344 : En quoi nous aussi sommes encore pieux.

    Dans la science, les convictions n'ont pas droit de cité, voilà ce que l'on dit à juste titre : c'est seulement lorsqu'elles s'abaissent au rang d'une modeste hypothèse, d'un point de vue expérimental provisoire, d'une fiction régulatrice, que l'on a le droit de leur accorder l'accès au royaume de la connaissance et de leur y reconnaître même une certaine valeur, – toujours avec cette restriction de demeurer soumises à la surveillance policière, à la police de la méfiance. (…)

    La discipline de l'esprit scientifique ne commencerait-elle pas par le fait de ne plus s'autoriser de convictions ? … C'est vraisemblablement le cas : il reste seulement à se demander s'il ne faut pas, pour que cette discipline puisse commencer, qu'existe déjà une conviction, et une conviction si impérative et inconditionnée qu'elle sacrifie à son profit toutes les autres convictions ? (…)

    La conviction ''qu'il n'y a rien de plus nécessaire que la vérité, et que par rapport à elle, tout le reste n'a qu'une valeur de second ordre.'' (...)

    De sorte que la question : pourquoi la science ? renvoie au problème moral : à quoi tend de manière générale la morale, si la vie, la nature, l'histoire sont ''immorales'' ? Il n'y a pas de doute possible, le véridique, dans ce sens audacieux et ultime que présuppose la croyance à la science, affirme en cela un autre monde que celui de la vie, de la nature et de l'histoire. (...)

    Mais on aura compris où je veux en venir, c'est à dire au fait que c'est toujours sur une croyance métaphysique que repose la croyance en la science – que nous aussi, hommes de connaissance d'aujourd'hui, nous sans-dieu et antimétaphysiciens, nous continuons d'emprunter notre feu aussi à l'incendie qu'a allumé une croyance millénaire, cette croyance chrétienne, qui était aussi la croyance de Platon, que Dieu est la vérité, que la vérité est divine ... Mais si cette croyance précisément ne cesse de perdre toujours plus sa crédibilité, si rien ne s'avère plus divin, sinon l'erreur, la cécité, le mensonge – si Dieu lui-même s'avère être notre plus long mensonge ! – » 

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Cinquième livre)

     

    Costaud, non ? On a l'impression de passer son temps à franchir des cols. On ne cesse de dépasser un point de vue pour un autre, qui intègre le paysage déjà connu, mais le complexifie. Bref on est dans le trek en haute philosophie, faut tenir la distance et ne pas craindre le vertige.

    Friedrich nous en prévient dans le liminaire de ce cinquième livre, avec ceci :

    NOUS, SANS PEUR

    ''Carcasse, tu trembles ? Tu tremblerais bien davantage si tu savais où je te mène.''  (Turenne)

    Livre qui constitue de fait le plus complexe et même déroutant de l'ouvrage. C'est le moment où l'on ne peut s'empêcher de se dire : Savoir, d'accord, mais Gai ? ...

     

  • Un grain de générosité

    « n°340 : Socrate mourant.

    J'admire la vaillance et la sagesse de Socrate dans tout ce qu'il fit, dit – et ne dit pas. (…) Je voudrais qu'il eût également gardé le silence au dernier instant de sa vie, – peut être appartiendrait-il alors à un ordre d'esprits encore supérieur.

    Fut-ce la mort, le poison, ou la pitié, ou la méchanceté – quelque chose lui délia la langue à cet instant, et il dit : ''Oh, Criton, je dois un coq à Asclépios''. Cette ''dernière parole'' risible et terrifiante signifie pour celui qui a des oreilles : ''Oh, Criton, la vie est une maladie ! ''

    Est-ce possible ! Un homme tel que lui, qui a vécu gaiement et, aux yeux de tous, comme un soldat, – était pessimiste ! Il s'était contenté de faire bonne figure à la vie et avait, toute sa vie, caché son jugement ultime, son sentiment le plus intime !

    Socrate, Socrate a souffert de la vie ! Et il en a encore tiré vengeance – par cette parole voilée, horrible, pieuse et blasphématoire !

    Fallait-il que même Socrate se venge ? Manquait-il un grain de générosité à sa vertu surabondante ? – Ah, mes amis ! Il nous faut dépasser jusqu'aux Grecs ! »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Ah l'aptitude de Nietzsche à décoder l'implicite, à entendre le sous-entendu. On lit ça on se dit : tiens c'est vrai au fait, la parole de Socrate pourrait après tout s'interpréter ainsi.

    Et du coup on se fait une réflexion. Si Socrate est tellement malin (pour ne pas dire roublard), d'une ironie qui confine au geste chirurgical, c'est peut être bien que oui : il manque de ce grain de générosité, de ce parti-pris de bienveillance que seul peut donner un certain optimisme sur la nature humaine.

    Quoique. Pour ma part, dans mon anti-platonisme primaire, je me demande si le non-généreux n'était pas plutôt lui Platon, qui dans ses Dialogues a fait dire à Socrate ce qu'il a voulu ...