Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blog - Page 87

  • Le faire bien

    « n°304 : En faisant, nous ne faisons pas.

    Au fond, j'ai en horreur toutes les morales qui disent : ''Ne fais pas telle chose ! Renonce ! Dépasse-toi !'' – je suis en revanche bien disposé envers les morales qui m'incitent à faire quelque chose, à le refaire et ce du matin au soir, et à en rêver la nuit, et à ne penser à rien d'autre qu'à : le faire bien, aussi bien que moi seul, justement, je le peux !

    Qui vit de la sorte (…) c'est sans haine ni répugnance qu'il voit aujourd'hui telle chose, demain telle autre prendre congé de lui, telles les feuilles jaunies que chaque petit coup de vent un peu vigoureux ravit à l'arbre : ou bien il ne voit pas du tout qu'elles prennent congé, tant son œil fixe fermement son but et regarde de manière générale en avant, non pas de côté, en arrière, en bas.

    ''Notre faire doit déterminer ce que nous ne faisons pas : en faisant, nous ne faisons pas'' – voilà ce qui me plaît, tel est mon placitum. Mais je ne veux pas tendre les yeux ouverts à mon appauvrissement, je n'ai nul goût pour toutes ces vertus négatives, – vertus qui ont pour essence la négation et le renoncement à soi eux-mêmes. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    La dernière phrase vient lever une ambiguïté, éviter un contresens sur la maxime en faisant, nous ne faisons pas. Il ne s'agit pas de prôner un type de « lâcher prise » qui confinerait à l'apathie, à l'aboulie, à l'inaction.

    En réalité le propos est de mettre l'accent sur la notion de choix : faire une chose, c'est choisir, ou au moins assumer de ne pas en faire une autre. Le renoncement n'est pas valorisé en soi, c'est juste une des conditions d'un véritable accomplissement.

    Ce que dit la belle métaphore de l'arbre. Si des feuilles tombent, c'est sous l'effet d'un petit coup de vent un peu vigoureux, autrement dit du souffle de la vie qui va.

    Ou, si l'on préfère le dire à la façon de Zarathoustra :

    « Tu te dis libre ? Je veux entendre ta pensée souveraine, et non être informé que tu as échappé à un joug. » (De la voie du créateur)

     

  • Reconnaissance à mon échec

    « n°303 : Deux hommes heureux.

    Cet homme, en dépit de sa jeunesse, est vraiment passé maître dans l'art de l'improvisation de la vie. (…)

    Il fait songer à ces musiciens virtuoses de l'improvisation auxquels l'auditeur voudrait attribuer aussi une infaillibilité divine de la main en dépit du fait qu'ils font une fausse note ici ou là, comme tout mortel fait des fausses notes. Mais ils sont entraînés et inventifs, toujours prêts à intégrer immédiatement à l'organisation thématique la note la plus fortuite à laquelle les pousse une pression du doigt, un caprice, et à insuffler au hasard une belle signification et une âme. – Voici un tout autre homme : il rate au fond tout ce qu'il veut et projette (…)

    Croyez-vous qu'il en soit malheureux ? Il y a longtemps qu'il a décidé pour lui-même de ne pas accorder trop d'importance à ses propres vœux et projets.

    ''Si je ne réussis pas telle chose, se dit-il, peut être réussirai-je telle autre ; et au fond, je ne sais pas si je ne dois pas plus de reconnaissance à mon échec qu'à n'importe quelle réussite. Suis-je donc fait pour être têtu et porter des cornes de taureau ? Ce qui fait pour moi la valeur et le fruit de la vie tient à autre chose. Je connais mieux la vie pour avoir été si souvent sur le point de la perdre : et c'est justement pourquoi je possède plus, en fait de vie, que vous tous !'' »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Certes j'ai appris (la vie m'a appris) à relativiser l'importance de mes vœux et projets. À admettre et reconnaître mes échecs. Mais de là à leur être reconnaissante …

    Pour tout dire, j'aurais préféré être du genre virtuose, capable d'improviser en duo avec le hasard et ses caprices. 

    Ben oui, désolée Friedrich, mais entre les deux formes de légèreté, personnellement j'aurais, si j'avais pu, choisi la plus facile.

     

  • Ils diluent l'amer

    « n°299 : Ce que l'on doit apprendre des artistes.

    De quels moyens disposons-nous pour nous rendre les choses belles, attirantes, désirables lorsqu'elles ne le sont pas ? – et je suis d'avis qu'elles ne le sont jamais en soi ! Nous avons ici quelque chose à apprendre des médecins lorsque par exemple ils diluent l'amer ou additionnent vin et sucre dans leur mélangeur ; mais plus encore des artistes, eux qui travaillent continuellement en réalité à effectuer de telles inventions et de tels tours de passe-passe. (…) C'est tout cela que nous devons apprendre des artistes, en étant pour le reste plus sages qu'eux. Car chez eux, cette force subtile qui leur est propre s'arrête d'ordinaire là où s'arrête l'art et où commence la vie ; mais nous, nous voulons être les poètes de notre vie, et d'abord dans les choses les plus modestes et les plus quotidiennes. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Oui beau programme, être les poètes de notre vie, rendre les choses belles, diluer l'amer. Programme attirant, mais pas si facile, non ? Et il ne suffit peut être pas de le vouloir, tu le sais bien, Friedrich – toi.