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Blog - Page 90

  • La pensée de la vie

    « n°278 : La pensée de la mort.

    Vivre au milieu de ce dédale de ruelles*, de besoins, de voix, suscite en moi un bonheur mélancolique : que de jouissance, d'impatience, de désir, que de vie assoiffée et d'ivresse de vivre se révèle ici à chaque instant ! Et pourtant tous ces êtres bruyants, vivants, assoiffés de vie plongeront bientôt dans un tel silence! (…)

    C'est la mort et le silence de mort qui est l'unique certitude et le lot commun à tous dans cet avenir ! Qu'il est étrange que cette unique certitude et ce lot commun n'aient presque aucun pouvoir sur les hommes et qu'ils soient à mille lieues de se sentir comme une confrérie de la mort ! Cela me rend heureux de voir que les hommes ne veulent absolument pas penser la pensée de la mort !

    J'aimerais contribuer en quelque manière à leur rendre la pensée de la vie encore cent fois plus digne d'être pensée. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    *à Gênes.

     

    Dans ce texte, et particulièrement dans la dernière phrase, on peut pointer la conception messianique que Nietzsche a pu avoir de son travail philosophique.

    Aider les hommes à échapper au pouvoir de la mort, de toutes les formes de mort, et leur faire aimer la vie. Rien que ça ? Ben oui.

    Un travail philosophique avant tout entrepris pour son propre compte, pour son propre salut. Et qu'il poursuivra, après le Gai Savoir, avec son Zarathoustra.

    « Salut à toi ma volonté ! Et là seulement où sont des tombes, il y a des résurrections. Ainsi chantait Zarathoustra. »

    (Le chant de la tombe)

     

  • Pour toute vie à venir

    « n°276 : Pour la nouvelle année.

    Je vis encore, je pense encore : je dois vivre encore, car je dois encore penser. Sum, ergo cogito : cogito,ergo sum. Aujourd'hui, chacun s'autorise à exprimer son vœu et sa pensée la plus chère : eh bien je veux dire, moi aussi, ce que je me suis aujourd'hui souhaité à moi-même et quelle pensée m'est venue à l'esprit la première cette année, – quelle pensée doit être pour moi le fondement, la garantie et la douceur de toute vie à venir !

    Je veux apprendre toujours plus à voir dans la nécessité des choses le beau : je serai ainsi l'un de ceux qui embellissent les choses. Amor fati : que ce soit dorénavant mon amour ! Je ne veux pas faire la guerre au laid. Je ne veux pas accuser, je ne veux même pas accuser les accusateurs. Que regarder ailleurs soit mon unique négation !

    En somme toute, en grand : je veux même, en toutes circonstances, n'être plus qu'un homme qui dit oui ! »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Ce passage, inaugurant le quatrième livre, est écrit dans les premiers jours de janvier 1882, et dans la lumière de Gênes. Il est sans doute l'un des plus beaux et émouvants de toute l'œuvre de Nietzsche.

    Il correspond à ce (bref trop bref) moment de sa vie où il a goûté une certaine paix, une certaine joie. Où il a senti que ce qui ne l'avait pas détruit l'avait rendu plus fort.

    Cet accès enfin trouvé à l'adhésion à soi spinoziste lui inspire la formulation sublime n'être plus qu'un homme qui dit oui. 

     

    Un oui qui repose sur un double élan :

    La libération de l'amertume et du ressentiment. Je ne veux même pas accuser les accusateurs, que regarder ailleurs soit mon unique négation : comme il faut être apaisé et confiant pour écrire de telles phrases !

    L'amour de la beauté, la foi, l'espoir, que, selon les paroles de Dostoïevski, la beauté sauvera le monde.

     

    Ah comme l'on aime ce Nietzsche-là.

    Comme on lui sait gré d'avoir écrit ces mots où nous pouvons, aujourd'hui, trouver liberté et beauté.

     

  • Le sceau de la liberté

    « n°269 : À quoi crois-tu ?

    À ceci : que le poids de toutes choses doit être déterminé à nouveau.

     

    270 : Que dit ta conscience ?

    ''Tu dois devenir celui que tu es''.

     

    271 : Où résident tes plus grands dangers ?

    Dans la pitié.

     

    272 : Qu'aimes-tu chez autrui ?

    Mes espérances.

     

    273 : Que qualifies-tu de mauvais ?

    Celui qui veut toujours faire honte.

     

    274 : Qu'y a-t-il pour toi de plus humain ?

    Épargner la honte à quelqu'un.

     

    275 : Quel est le sceau de l'acquisition de la liberté ?

    Ne plus avoir honte de soi-même. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Troisième livre)

     

    Cette fin du troisième livre m'évoque les questions/réponses du catéchisme de mon enfance.

    Q : Qui est Dieu ?

    R : Ouh la ! vaste question ! Attendez voir, bon on va déjà chercher du côté de Spinoza …

    Q bis : Mais non pas la peine, regarde : y a la réponse, là.

    R : Ah ouais j'avais pas vu : Dieu est un pur esprit en trois personnes …

     

    J'ai du mal à me rappeler ce que je pensais à l'époque. J'essayais, il me semble, de comprendre ce que ça voulait dire, mais je n'y arrivais pas, ça me paraissait très flou. Après j'ai compris que cette incompréhension n'était pas si mauvais signe.

     

    Pour en revenir à Friedrich, je ne sais pas ce que ce questionnaire doit à l'ombre de Monsieur le Pasteur. Mais ce qu'il doit au Surmoi saute aux yeux. Poids, conscience, danger, pitié, mauvais, honte : n'en jetez plus.

    Friedrich, décidément, qu'est-ce qu'il s'en est trimbalé !

    Mais du coup, malgré cela, ou à cause de cela, on est ému par la beauté simple et lumineuse de ces immenses phrases, toutes de force, de dignité, de bienveillance pour autrui et soi-même.

    Tu dois devenir celui que tu es. (Et celle ...)

    Quel est le sceau de l'acquisition de la liberté ? -Ne plus avoir honte de soi-même. 

    Qu'y a-t-il pour toi de plus humain ? -Épargner la honte à quelqu'un.