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Blog - Page 86

  • Savoir vivre

    « n°312 : Mon chien.

    J'ai donné un nom à ma douleur et je l'appelle ''chien'', – elle est tout aussi fidèle, aussi indiscrète et effrontée, aussi distrayante, aussi sage que n'importe quel autre chien – et je peux l'apostropher et passer sur elle mes accès de mauvaise humeur : comme d'autres le font avec leur chien, leur domestique et leur femme. »*

     

    « n°313 : Pas de tableau de martyre.

    Je veux faire comme Raphaël et ne plus peindre de tableau de martyre. Il y a assez de choses sublimes pour que l'on n'ait pas à chercher la sublimité là où elle vit en compagnie de la cruauté comme en compagnie d'une sœur ; et mon ambition, en outre, ne trouverait pas à se satisfaire si je voulais me transformer en tortionnaire sublime. »

     

    « n°315 : De la dernière heure.

    Les tempêtes sont mon danger : aurai-je ma tempête, dont je mourrai, comme Olivier Cromwell mourut de sa tempête ? Ou m'éteindrai-je comme une chandelle que le vent n'a pas encore soufflée, mais qui s'est fatiguée et rassasiée d'elle-même, – une lumière qui s'est consumée jusqu'à son terme ? Ou enfin : me soufflerai-je moi-même pour ne pas me consumer jusqu'au bout ? – »

     

    « n°318 : Sagesse dans la douleur.

    Dans la douleur, il y a autant de sagesse que dans le plaisir : elle fait partie, comme celui-ci, des forces de conservation de l'espèce de premier ordre. Si ce n'était pas le cas, elle aurait péri depuis longtemps : qu'elle fasse mal ne constitue pas un argument contre elle, c'est son essence.

    J'entends dans la douleur le commandement lancé par le capitaine du navire : ''Amenez les voiles !'' L'intrépide navigateur ''homme'' doit être exercé à disposer les voiles de mille manières, sans quoi son sort ne serait que trop vite réglé, et l'océan ne serait que trop prompt à l'engloutir.

    Nous devons aussi savoir vivre avec une énergie restreinte : dès que la douleur lance son signal d'alarme, il est temps de la restreindre, – quelque grand danger, une tempête s'annonce, et nous faisons bien de nous ''gonfler'' le moins possible. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Courage, persévérance à tenir dans l'être, à tenir pour la vie contre le mal dans son être.

    Mais, toute sa sagesse dans la douleur est là, Nietzsche s'efforce de tenir sans raideur, sans défi, dans l'humilité, le pragmatisme.

    En acceptant aussi que, voiles amenées, le voilier ralentisse, voire reste un moment en panne.

     

    *ce chien m'évoque son jumeau en douleur de génie(s) : le tableau de Goya intitulé Le chien.

     

  • Déterrer des trésors

    « n°310 : Volonté et vague.

    Avec quelle avidité s'avance cette vague, comme s'il lui fallait atteindre quelque chose ! Avec quelle précipitation terrifiante elle s'insinue jusque dans les recoins les plus profonds des rochers crevassés ! Il semble qu'elle veuille y arriver avant quelqu'un ; il semble qu'y soit caché quelque chose de valeur, de grande valeur.

    – Et la voici qui revient, un peu plus lentement, toute blanche encore d'excitation, – est-elle déçue ? A-t-elle trouvé ce qu'elle cherchait ? Fait-elle semblant d'être déçue ?

    – Mais déjà s'approche une autre vague, plus avide et plus sauvage encore que la première, et son âme aussi semble emplie de secrets et du désir de déterrer des trésors.

    C'est ainsi que vivent les vagues – et c'est ainsi que nous vivons, nous qui voulons ! »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Je ne sais pas si cette métaphore du désir, de la volonté, est vraiment efficace. On peut aussi bien, comme cette petite futée de Mafalda (dans les géniaux albums de Quino), trouver que la mer qui avance, puis recule, puis avance, puis recule, n'a aucune suite dans les idées …

    Mais ça n'empêche pas de savourer la poésie de ce texte. S'il y a un trésor, il est là, dans l'art de voir, de ressentir, de dire.

     

  • Car celui-ci a son jardin

    « n°306. Stoïciens et épicuriens.

    L'épicurien recherche la situation, les personnes et même les événements qui correspondent à sa disposition intellectuelle extrêmement excitable, il renonce au reste – c'est à dire à la plupart des choses –, parce que ce serait pour lui une nourriture trop forte et trop lourde.

    Le stoïcien au contraire s'entraîne à avaler pierres et vermine, éclats de verre et scorpions et à ne pas éprouver de dégoût ; son estomac doit finir par devenir indifférent à tout ce que le hasard de l'existence déverse en lui (…), il apprécie d'avoir un public d'invités qui assistent au spectacle de son insensibilité, public dont se passe volontiers l'épicurien : – car celui-ci a ''son jardin'' !

    Pour des hommes avec qui le destin improvise, pour ceux qui vivent à des époques violentes et dépendent d'hommes brusques et changeants, le stoïcisme peut être fortement conseillé.

    Mais qui prévoit d'une certaine manière que le destin lui permet de filer un long fil fait bien de s'organiser de manière épicurienne : tous les hommes qui se consacrent au travail intellectuel l'ont fait jusqu'à présent !

    Ce serait en effet pour eux une perte que d'être dépossédés de leur fine excitabilité et de se voir offrir en échange la dure peau stoïcienne aux piquants de hérisson. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Voilà qui me suggère un rapprochement :

    « Au demeurant, j'ai toujours trouvé ce prétexte cérémonieux, qui ordonne si rigoureusement et exactement de tenir bonne contenance et un maintien dédaigneux et posé à la tolérance des maux. Pourquoi la philosophie, qui ne regarde que le vif et les effets, se va-t-elle amusant de ces apparences externes ? (…)

    Qu'importe que nous tordons nos bras, pourvu que nous ne tordons nos pensées ! Elle nous dresse pour nous, non pour autrui ; pour être, non pour sembler (…)

    Qu'aux efforts de la colique, elle maintienne l'âme capable de se reconnaître, de suivre son train accoutumé (…) capable de commerce, capable d'entretien jusques à certaine mesure (…)

    Si nous avons beau jeu, c'est peu que nous ayons mauvaise mine. Si le corps se soulage en se plaignant, qu'il le fasse (…)

    Nous avons assez de travail du mal sans nous travailler de ces règles superflues. »

    (Montaigne Essais II,37 De la ressemblance des enfants aux pères)

     

    L'un et l'autre pointent la pente orgueilleuse d'un certain stoïcisme. Cependant on peut dire que tous les deux avaient bien un peu la peau dure, même sans piquants de hérisson.

    (Quoique. La moustache de Friedrich … cf note du 30 mai Par expérience).

    Quant à la constatation que le souple épicurisme est une méthode plus efficace que la tension stoïcienne (encore qu'il ne faille pas trop forcer l'opposition) pour disons tenir la distance sur le chemin de la vie, comment ne pas la trouver de plus en plus juste au fur et à mesure que l'on vieillit ...