Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 478

  • Dormir

    Premier verbe de notre série. Robert dans sa grammaritude précise qu'un verbe exprime une action un état ou un devenir. Lequel des trois pour dormir ? Dire que dormir est une action paraît paradoxal à première vue. Dormir c'est plutôt ne rien faire, ne pas agir, se mettre en position off, se débrancher, se retrancher, tout ce genre de choses. « Off » c'est bien dit en fait. Car qui dit sommeil dit, entre autres choses, rêve. Or le rêve se joue sur ce que Freud appelle « l'autre scène ». L'autre scène, c'est aussi le lieu répondant de la scène, à savoir la coulisse, d'où parle le cas échéant la voix « off ». Et c'est bien ça, quand on dort on se débranche du côté « on » de la vie visible dans le réel, mais on se branche sur le côté « off » où contacter l'inconscient. Donc dormir c'est à la fois faire et ne pas faire, être et ne pas être. Du moins dans ce sommeil qu'on nomme paradoxal. Donc, même si c'est sur un mode complexe, dormir, dans le genre verbe, est plutôt du style verbe d'action.

     

    Et ça vaut mieux, car quand on le considère comme un état, il se charge tout à coup de fâcheuses connotations. Dormir comme « dernier sommeil », repos éternel et tout ce qui s'ensuit. Ou plutôt ne s'ensuit plus. Ce qui permet d'affirmer clairement que si dormir peut être action ou état, il n'est jamais devenir. D'où le dicton « l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ». Pour cela deux solutions, ou bien se coucher tôt, ou bien ne pas se coucher du tout. La première option fut longtemps celle de Proust, mais on doit à la vérité de signaler qu'il ne parvint à son objectif de retrouver le temps qu'à partir du moment où il adopta la deuxième option et passa ses nuits à écrire.

     

    En fait je n'aime pas le mot dormir. Curieusement, il a quelque chose de dur, de heurté. Mais que dire ? Faire dodo, j'ai passé l'âge et ça fait concon même pour les bébés, nonon ? Somnoler évoque le vieillard dodelinant et là j'ai pas encore l'âge. Roupiller ça fait corps de garde, s'abandonner aux bras de Morphée c'est too much et d'abord nous n'avons pas été présentés.

    Laissons donc reposer, j'y réfléchirai dans ma prochaine insomnie. Après tout D comme Demain.

     

     

     

     

     

  • Calendrier

    Un calendrier n'est pas sans rapport avec un dictionnaire, ils ont en commun le côté déclinaison de paradigme. Celui de l'alphabet pour le dico, celui de l'organisation de l'année, du mois, de la semaine, pour le calendrier. La différence, c'est que la « définition » est beaucoup plus succincte dans le calendrier : lundi ou mardi, le 12 ou le 13, février ou mars. Juste une base sur laquelle va se construire le jour en question. Le calendrier pose le cadre, et la vie crée le tableau. Voilà pourquoi les calendriers sont si poétiques et offrent un tel champ à l'imagination, au désir comme à la crainte.

     

    Ce qui nous amène à remarquer, du point de vue psychologique, que le calendrier est un objet d'élection pour les névrosés obsessionnels dont je me flatte d'être. Vous savez, ces gens qui savent dire « on s'est rencontré un lundi, il y avait du vent, vous portiez une robe blanche et moi une chemise bleue (ou l'inverse) », ces gens en qui se gravent les dates et pour cette raison ont le sens des commémorations et des rites. Dans les types les plus marqués dont je me flatte d'être, on ira jusqu'à 1°collecter autant de calendriers que possible, à l'occasion des étrennes aux éboueurs, pompiers, facteurs etc. 2° accepter avec reconnaissance le calendrier publicitaire offert gracieusement par le commerçant dont vous êtes le client avéré, 3° barrer rituellement sur chacun de ces objets fétiches le jour qui vient de s'écouler.

    Façon de l'inscrire au compte des jours de sa vie, et plus largement au compte des jours du monde en général ? Peut être que le calendrier, lors de ce rite, sert de silo symbolique où engranger la cueillette que l'on a fait du jour ? Le C de carpe diem rejoint celui de calendrier.

    C'est aussi, admettons-le, une façon de charmer une certaine angoisse, barrer le jour équivalant en quelque sorte à se dire « jusqu'ici tout va bien »...

    C comme Ciel me voici arrivée (ce n'était pas mon intention mais ...) à C comme Casser l'ambiance. Bon, C comme Ça suffit les Conneries.

     

    Allons sur du plus cool, le calendrier révolutionnaire avec ses noms de mois poétiques et simples à la fois. Là par exemple on serait en pluviôse … Bon, OK, c'est pas le meilleur, mais on avouera d'une part que c'est pas faux, d'autre part que ça fait bien image. Tandis que février, faut tout le secours étymologique de Robert pour s'y intéresser. En outre si vous êtes lacaniens, vous me concéderez que février est un mot qui ne met pas de bonne humeur.

     

    Mentionnons pour finir un usage sans conteste plaisant du calendrier, aller y chercher un prénom pour un personnage de roman ou de nouvelle. Plaisir semblable à celui des futurs parents à la recherche d'un prénom pour leur bébé. Cela dit de nos jours je doute que les jeunes parents cherchent dans le calendrier, ils vont plutôt sur internet j'imagine. Ou bien ils trouvent le prénom comme de tout temps on fait les meilleurs choix : par un coup de cœur.

     

     

  • Blabla

    Pour A abécédaire s'imposait. Mais avec B le champ des possibles s'ouvre de manière vertigineuse. Et le silence de ces espaces, même s'il n'est pas éternel mais provisoire puisque je vais forcément y mettre un terme, ne laisse pas de m'effrayer. Disons de me plonger dans le doute. Profitons-en pour remarquer que, sauf pour les gens doués pour le doute dont je me flatte d'être, en général il ne donne pas sa pleine mesure d'emblée, comme il se vérifie par le théorème dit « du saut en parachute » : la première fois on y va sans réfléchir, c'est le deuxième saut qui vous confronte pour de bon à votre peur. Inutile de dire que le saut en parachute est en bonne place dans ma black list « activités à éviter », avec l'escalade, le rafting, le funboard, le ski, la F1, le patin à roulettes. Je hais la vitesse et le déséquilibre. Il paraît que c'est un problème d'oreille interne, mais qui n'a pas ses petites misères ? Le ski c'est surtout à cause de la neige.

    Bref, quel mot pour B ? Là je pourrais jouer la facilité et dire : B comme bref, et par conséquent basta j'arrête ici. Mais la facilité est aussi dans une de mes black lists, et franchement celle-là j'aimerais bien la déchirer un jour. C'est celle que m'a dictée mon surmoi qui n'est pas un rigolo. Attendez qu'on arrive à s, je lui réglerai son compte en beauté. Beauté pour B c'était bien. Comme bien ou bonté, ou béatitude, qui nous aurait rappelé Spinoza. Il y a aussi bénédiction dans le genre. Mais tous ces mots n'ont pas besoin de beaucoup de commentaires. De deux choses l'une : ou bien on les prend au sérieux et le monde est un paradis ... On voit donc que c'est l'autre option qui a été choisie : ils sont des mots qu'on dit sans les faire, et souvent pour ne pas avoir à les faire. Des mots alibis. Tiens, alibi c'était pas mal pour A. Mais il tombe bien en B, étant assez connexe de blabla. « Blabla : propos verbeux destiné à endormir la méfiance, voir baratin et boniment », dit Robert Dico, mon compagnon d'île déserte, cf A. Bon là le cf ne s'imposait pas, mais vous verrez quand on en sera genre à Y, vous serez bien contents de mon côté organisé et perfectionniste.

    Pour ma part tout de même j'aurais été moins sévère avec blabla, car il y a du blabla innocent, juste pour passer le temps. On pourrait même soutenir la thèse comme quoi le blabla, avant d'être verbeux, est tout simplement verbal. J'entends par là qu'il n'est pas moins parole qu'autre chose. Parole vient de « parabolê », qui désigne en gros un truc qu'on jette à côté. Parler c'est toujours dire à côté, plus ou moins de biais. On n'aborde la cité du sens que par des voies de contournement. Certes il faut réduire l'écart quand les mots ont une incidence importante. Par exemple le langage scientifique essaie de ne pas faire de blabla. En revanche on laisse sciemment jouer l'écart en poésie ou dans l'art en général, style « Ceci n'est pas une pipe ».

     

     

    Mais on est bien obligé de déduire, inversement, que l'usage du blabla dans les domaines à forte incidence sur la vie, comme la politique, ne sert qu'à éviter la réalité.