Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 128

  • Il fait son jeu à part

    « Le jugement tient chez moi un siège magistral, au moins il s'en efforce soigneusement ; il laisse mes appétits aller leur train, et la haine et l'amitié, voire et celle que je me porte à moi-même, sans s'en altérer et corrompre.

    S'il ne peut réformer les autres parties selon soi, au moins ne se laisse-t-il pas difformer à elles : il fait son jeu à part. »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 13 De l'expérience)

     

    Quelques décennies avant Spinoza, Montaigne développe ici la même conviction éthique : la perfection morale importe peu, ce n'est jamais au fond qu'un truc entre soi et soi. Un problème narcissique d'Ich-Ideal (dira Freud pour sa part). Ce qui compte est comment on agit.

    C'est pourquoi le jugement est considéré ici non tant comme faculté intellectuelle ou morale que comme le moyen de se déterminer, d'arrêter concrètement une conduite. Ainsi lorsque le tribunal rend un jugement, un arrêt, qui doit être suivi d'effets.

    La question, comme pour Spinoza, n'est donc pas de supprimer les affects (impossible de toutes façons), mais de s'efforcer soigneusement de réduire leur éventuelle nocivité envers soi et les autres. Avec la raison pour juge de paix.

     

  • Je secoue les oreilles

    « D'apprendre qu'on a dit ou fait une sottise, ce n'est rien que cela ; il faut apprendre qu'on n'est qu'un sot, instruction bien plus ample et importante.

    Les faux pas que ma mémoire m'a fait si souvent, lors même qu'elle s'assure le plus de soi, ne sont pas inutilement perdus ; elle a beau me jurer à cette heure et m'assurer, je secoue les oreilles ; la première opposition qu'on fait à son témoignage me met en suspens, et n'oserais me fier d'elle en chose de poids (…).

    Et n'était que ce que je fais par faute de mémoire les autres le font encore plus souvent par faute de foi(1), je prendrais toujours en chose de fait la vérité de la bouche d'un autre plutôt que de la mienne. »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 13 De l'expérience)

     

    (1)De bonne foi.

     

    Voici un Montaigne légèrement roublard. Il n'accuse son défaut de mémoire que pour pointer chez d'autres un bien plus grave défaut, comme le montre l'ironique retournement dans la dernière phrase.

    Cela ne l'empêche pas de savoir se défier de soi, se mettre en suspens au moindre doute. Qu'il vienne de lui comme des autres, y compris en prenant le risque de leur possible mauvaise foi.

    Il s'agira juste de vérifier les faits comme les dires. Bref un boulot de juge.

     

  • En voici un essaim

    « J'ai vu en Allemagne(1) que Luther a laissé autant de divisions et d'altercations sur le doute de ses opinions, et plus, qu'il n'en émut sur les écritures saintes.

    Notre contestation est verbale. (…) On échange un mot pour un autre mot, et souvent plus inconnu. (…) Pour satisfaire à un doute, ils(2) m'en donnent trois : c'est la tête de Hydra.

    Socrates demandait à Memnon que c'était que vertu.''Il y a, fit Memnon, vertu d'homme et de femme, de magistrat et d'homme privé, d'enfant et de vieillard.

    -Voici qui va bien ! s'écria Socrates : nous étions en cherche d'une vertu, en voici un essaim.'' »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 13 De l'expérience)

     

    (1)Il y a séjourné lors de son périple à travers l'Europe.

    (2)Au sens de l'indéfini « on » (latinisme again, what else?)

     

    Notre contestation est verbale : si seulement, hein … De fait dans ces controverses religieuses, elle le fut un peu, au début. Mais très vite le ton changea de part et d'autre. Comme si nécessairement le pouvoir et la violence devaient s'en mêler.

    La faute à Luther et aux autres, à l'intolérance religieuse ? Ou la faute, plus largement, au fait que dans tout débat, le désir de s'entendre, d'être raisonnables ensemble, ne fait pas le poids devant le désir orgueilleux d'avoir raison de l'autre ?

     

    Quant à cet essaim qui vient vrombir aux oreilles de Socrate, il évoque immanquablement nos buzz contemporains. Aussi potentiellement venimeux.

    Ça me parle parce que figurez-vous je suis allergique aux piqûres de guêpes et abeilles (2 passages aux urgences quand même) (du coup maintenant je mets toute mon aptitude phobique à me garder de ces bestioles) (cela ne m'empêche pas d'espérer que la pollution n'aura pas raison des abeilles, pour elles d'abord, et puis j'aime trop le miel).

    Bon OK Je sais bien que le lecteur n'a pas besoin de savoir tout cela, mais j'ai besoin, moi de le lui dire (dit Rousseau à un moment dans ses Confessions) : car après tout, d'un buzz l'autre, cela explique peut être mon allergie aux résasociaux ?