Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 412

  • Les enchaînés

     

    Dilemme n°9 : Ute ou ure ?

    Voici un dilemme relativement spécialisé, qui suppose, pour être abordé avec quelque profit, une pratique au moins occasionnelle des mots croisés. Quoique. S'il est une chose peu compatible avec l'occasionnalité, c'est la pratique des mots croisés.

    Voilà un truc qui vous engrille vite fait, croyez-moi. Si je pouvais revenir en arrière, je ne commencerais pas. Mais maintenant j'ai peur d'arrêter : toutes mes copines qui ont essayé ont affreusement grossi. Bien sûr il y a les produits de substitution : tricot, coloriage, sudoku. Mais on a beau dire, c'est pas du tout les mêmes sensations.

    Pour ma part j'ai fini par me résigner à vivre dans l'addiction. Car en toute chose il faut considérer la balance bénéfices/risques. À la phobie comme à la phobie, tout palliatif à l'angoisse est ainsi à envisager sans tabou. Toutes les chicanes propres à canaliser efficacement l'affluence des pensées morbides.

    En outre si la grille de mots croisés remplit à merveille son office de prise de tête, ou plutôt de reprise en mains de votre tête, elle vous réserve des tas de plaisirs collatéraux.

    Ainsi le retour rituel de mots fétiches. Comment concevoir une grille sans aï ou sans Io, sans Éon ni ion, sans Ute ni ure ? Il y a dans cette récurrence un pouvoir rassurant qui n'est comparable qu'à la certitude que Maman Papa ou Tata se pointera à la grille de l'école à quatre heures et demie avec un grand sourire et un bon goûter.

    Les verbicrucistes savent que ce n'est pas avec ces mots tellement attendus qu'on gagne une réputation de Grand Énigmatique ou de Sphinx en Chef. Mais cela ne freine en rien leur enthousiasme à déployer des trésors d'astuce définitionnelle, dans un art consommé de la variation, dont la virtuosité n'a d'équivalent que chez le Bach des Variations Goldberg. Et l'on éprouve à les déchiffrer un plaisir au raffinement assez comparable.

    Il y a aussi du plus trouble. Ne fais-je pas preuve de sadisme à m'amuser de voir certains mots être l'occasion de systématiques mises en boîte ? L'émeu par exemple. Je vous mets au défi de trouver dans une grille quelconque en France ou en Navarre, voire en Wallonie ou au Québec, là, une définition je n'ose dire laudative, mais pas trop dépréciative du pauvre animal.

    À tous les coups on lui ressort que c'est un oiseau qui peut pas voler. Genre « ne peut même pas être partisan du moindre essor ». Humiliant, non ? C'est à des scandales de ce genre qu'on voit que l'on a beaucoup de progrès à faire dans la lutte contre les discriminations.

    À l'inverse et de manière tout aussi injustifiée, l'Ute comme l'ure (« vedette de l'art pariétal ») jouissent d'un certain prestige. Pourquoi ? À force de me pencher sur le problème, je suis arrivée à une conclusion.

    En plumitifs assignés à leur ordinateur, confinés dans leur bureau, enchaînés à leur grille, les verbicrucistes, logiquement, sont reconnaissants à ces mots-là d'envoyer vagabonder leur imagination dans le monde qu'ils évoquent pareillement, monde premier et sauvage aux espaces ouverts comme une page blanche.

     

     

  • Sainte Phobie

     

    C'est vrai ça. Toute phobie n'est-elle pas au fond phobie des cons ? Dont la connerie, nous l'avons brillamment démontré il y a peu, ne peut qu'impliquer méchanceté, la leur, la nôtre. De même que les méchants ont une méchante tendance à nous connifier. Mettons, Dieu vous paperasse, que vous souffriez d'une phobie administrative réelle, j'entends non simulée à l'instar d'autres à but lucratif et gruge-fisc.

    Glissons ici une vignette clinique qui vous sera utile en cas de rencontre avec un individu ambitionnant de démontrer son aptitude phobique, d'en valider l'expérience pour inscription dans son CV à destination d'un ministère ou quoi que ce soit : comment différencierez-vous phobie réelle de phobie simulée ?

    1) Défiez-vous des signes d'angoisse que le candidat phobique sera prompt à exhiber. Crise de larmes de nerfs de tétanie, bégaiement tremblement et stupeur se simulent aisément. Sachez que, de même qu'un suicidaire évite les jérémiades, un angoissé a la pudeur de son angoisse.

    2) L'illogisme obstiné du discours est un trait si répandu qu'il ne saurait constituer un critère de discrimination des cohortes de phobiques et de non-phobiques. Hochez la tête d'un air entendu et faites la sourde oreille.

    3) Restent les faits. Observez les conséquences concrètes de la présumée phobie dans la vie de celui qui en fait profession. S'il y perd (temps, argent, estime de soi, autre bien matériel ou pas) il est vraiment phobique. Et c'est votre cas.

    La preuve ? Soit la mauvaise foi d'un banquier retranché derrière la barrière dilatoire d'une plate-forme d'appel « Le virement (promis pour le lendemain et toujours inaccompli dix jours après) a justement été fait ce matin ». Soit l'exigence aussi rigide qu'absurde d'une administration « Votre dossier ne peut être traité en l'absence de » tel document déjà produit, et nonobstant si complètement évaporé qu'aucune trace ne s'en retrouve dans les données informatisées dont il émanait pourtant au départ. Soit la secrétaire médicale vous balançant de toute sa morgue « Mon premier créneau est dans 6 mois, je ne peux pas mieux, ah il aurait fallu anticiper » (sous-entendu pauvre nase), comme si cela lui conférait magiquement l'aura de l'équivalent bac+15 de son praticien-suzerain.

    Au lieu de laisser libre cours à une ire libératoire, à un salutaire défoulement verbal sous les espèces d'un chapelet d'injures, que faites-vous ? Vous vous persuadez que l'erreur est de votre fait, vous n'avez pas su parer aux incidents de parcours du combattant (pourtant prévisibles en l'état de vos connaissances & expériences). Si bien qu'au lieu d'accabler votre (supposé) interlocuteur d'un mépris mérité, c'est vous qui faites profil bas jusqu'à une humilité euh humiliante, dans un espoir illusoire de propitiation sacrificielle.

    Bref vous voici lamentablement prosterné devant cette incarnation intérimaire du Destin insondable et inflexible, et vous vous acquittez piteusement d'une dîme d'angoisse et d'auto-dépréciation, pour la plus grande gloire de votre patronne Sainte Phobie.

     

  • Comme chien et chat

     

    Dilemme n°8 : Chien ou chat ?

    Voici un dilemme à classer dans la catégorie des tests projectifs, à l'instar du fameux Rorschach. Un nom qui pose à lui seul la dualité inhérente au dilemme. À considérer son écriture, le mot « chat » s'impose, en une graphie évoquant qui plus est l'élégant chat persan. Et si nous prononçons comme il se doit« Rorr charr rhh » voici immédiatement évoqué un molosse montrant les dents.

    - Ach indice caractéristique von Ihre phobie liebe Ariane …

    - Pas si sûr cher Maître, si je peux me permettre. C'est le Signifiant qui s'impose ici, invitant à entendre dans la Parole du Sujet que le senti-ment. Plan Imaginaire récusé au profit de l'axe Symbolique, illustration de Ma proposition par Moi-Même énoncée, selon laquelle l'inconscient est structuré comme un langage ...

    - Ah non ne vous y mettez pas vous aussi, c'est mon blog c'est moi qui cause ça suffit maintenant !

    (OK c'est ma faute, j'ai été imprudente avec cette histoire de Rorschach, faut pas leur jeter ce genre d'os à ronger à ces deux-là).

    Projection disais-je, identification quasi totémique. Le cynophile dira : un chien est fidèle, pas rancunier, c'est un véritable compagnon. Voire un collaborateur efficace travaillant sans rechigner, regardez les chiens de berger, le Saint-Bernard ou autre Labrador.

    À quoi le félinophile rétorquera : un chat est beau, luxueux calme et voluptueux, demandez à Baudelaire. Il met l'harmonie dans votre sweet home, regardez-le s'étirer, écoutez-le ronronner : invite sensuelle au carpe diem. Son indépendance me convient : je n'ai pas besoin de domestique.

    Décodons. L'un fait passer le message : qui aime les chiens est fiable et pas feignasse. L'autre suggère que l'amour des chats révèle l'esthète qui adhère aux valeurs d'autonomie et de liberté.

    - Autonomie ? Égoïsme oui. Un chat vous tolère sous son toit à condition de bouffer ce qu'il veut quand il veut, et de squatter le meilleur fauteuil. Les chats sont capitalistes, impérialistes. Des animaux de droite, quoi.

    - Et les chiens de gauche ? Et vous faites quoi du pitbull du rottweiler ?

    Si je peux en placer une, je dirai que je suis phobique des chiens et non des chats pour la raison que la plupart sont plus gros que les chats. Le petit roquet même hargneux je peux maîtriser (un bon coup de tatane et kaï kaï queue entre les pattes). Mais le gros chien surtout mal élevé par un maître con ou méchant : maxi-angoisse.

    En fait ce qui m'énerve avec l'animal dit domestique, c'est quand à travers lui le maître s'autorise des comportements grossiers, violents, sans égard pour l'autre, bref laisse le champ libre à ses tendances inciviles & asociales. (Certains le font aussi avec leurs enfants vous avez remarqué ?)

    - Ach vielleicht es ist keine phobie des chiens dont vous souffrez, mais phobie von cons ? Nicht wahr ?