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Blog - Page 132

  • Ces mots qui modèrent

    « Il n'est rien à quoi communement les hommes soient plus tendus qu'à donner voie à leurs opinions ; où le moyen ordinaire nous faut(manque), nous y ajoutons le commandement, la force, le fer, et le feu. Il y a du malheur d'en être là que la meilleure touche(1) de la vérité ce soit la multitude des croyants, en une presse où les fols surpassent tant les sages en nombre.

    C'est chose difficile de résoudre son jugement contre les opinions communes.(...)

    C'est merveille, de combien vains commencements et frivoles causes naissent ordinairement si fameuses impressions. Cela même en empêche l'information(2).(...)

    Il s'engendre beaucoup d'abus au monde, ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance(3), et que nous sommes tenus d'accepter tout ce que nous ne pouvons réfuter. (…) On me fait haïr les choses vraisemblables quand on me les plante pour infaillibles.

    J'aime ces mots, qui amollissent et modèrent la témérité de nos propositions : ''à l'aventure, aucunement, quelque, on dit, je pense'', et semblables.»

    (Montaigne Essais livre III chapitre 11 Des boiteux)

     

    (1)Pierre de touche, preuve.

    (2)L'analyse.

    (3)Affirmer notre ignorance, ne pas hésiter à dire : euh ben là je ne sais pas …

     

    On l'a déjà dit, le style c'est l'homme : on voit ici que le goût de Montaigne pour ces termes modérateurs (on dit aujourd'hui plutôt modulateurs) que je relève régulièrement dans son texte, correspond bien à son souci d'ajuster aussi précisément que possible la pensée et son expression. Quitte à dire chaque fois qu'il faut : je ne sais pas. Ou mieux encore : que sais-je ?

     

  • Volontiers à l'hyperbole

    « Je trouve que nous ne sommes pas seulement lâches à nous défendre de la piperie, mais que nous cherchons et convions à nous y enferrer. Nous aimons à nous embrouiller en la vanité, comme conforme à notre être. (…)

    L'erreur particulière fait premièrement l'erreur publique, et, à son tour, après, l'erreur publique fait l'erreur particulière. (…)

    Moi-même, qui fais singulière conscience(1) de mentir et qui ne me soucie guère de donner créance et autorité à ce que je dis, m'aperçois toutefois, aux propos que j'ai en main, qu'étant échauffé ou par la résistance d'un autre, ou par la chaleur de la narration, je grossis et enfle mon sujet. (…) La parole vive et bruyante, comme est la mienne ordinaire, s'emporte volontiers à l'hyperbole. »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 11 Des boiteux)

     

    (1)Faire conscience de : avoir scrupule à.

     

    Nous aimons à nous embrouiller en la vanité. Cette pente aux débats futiles, aux réflexions sans plus d'effets que d'objets réels, même si elle est prégnante dans le fonctionnement actuel de nos communications, elle n'est pas nouvelle, la preuve.

    Sur cette vanité (cf les citations que j'ai relevées dans son chapitre de ce titre) Montaigne ne porte pas le regard d'un moraliste sévère. C'est juste que la vanité est conforme à notre être. Il est souvent plus facile, plus à notre portée, de trouver lieu d'être dans les choses vaines que dans celles de conséquence.

    Là où ça coince pour lui, c'est que la vanité confine forcément à l'erreur (ben oui quand on pense que c'est pas important on se fatigue pas vraiment à vérifier ni à raisonner). Et le dommage collatéral, c'est que s'il est des erreurs sans importance réelle, il en est beaucoup de ravageuses dans leurs effets, délétères pour l'individu, comme pour le corps social.

    Allez, on termine sur une note plus légère : la dernière phrase ne signe-t-elle pas joliment le tempérament bien gascon de Montaigne ? (Quelque chose dans le climat du côté de Bergerac va savoir ...)

     

  • Plaisants causeurs

    « Je rêvassais présentement, comme je fais souvent, sur ce, combien l'humaine raison est un instrument libre et vague. Je vois ordinairement que les hommes, aux faits qu'on leur propose, s'amusent plus volontiers à en chercher la raison qu'à en chercher la vérité ; ils laissent là les choses, et s'amusent à traiter les causes. Plaisants causeurs.(...)

    Ils passent par dessus(1) les effets, mais ils en examinent curieusement(2) les conséquences. Ils commencent ordinairement ainsi : « Comment est-ce que cela se fait ? » - Mais se fait-il ? faudrait-il dire.

    Notre discours est capable d'étoffer(3) cent autres mondes et d'en trouver les principes et la contexture. Il ne lui faut ni matière, ni base ; laissez-le courre : il bâtit aussi bien sur le vide que sur le plein, et de l'inanité que de matière. »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 11 Des boiteux)

     

    (1)Ils laissent de côté.

    (2)Soigneusement (du latin cura = soin, application).

    (3)De fabriquer de toutes pièces.

     

    Effets/conséquences reprend l'opposition choses/causes. D'un côté la réalité telle qu'elle se présente, de l'autre l'abstraction qui cherche à la théoriser, à la modéliser, en passant par dessus les faits, alors qu'il faudrait, en bonne méthode, commencer par les observer.

    Une opposition qui implique en corollaire l'opposition entre l'action pragmatique, qui s'ajuste à chaque réalité et à ses évolutions, et l'idéologie qui cherche à dérouler un plan prédéterminé selon une théorie. Avec des effets disons discutables.

    Et puis je me demande s'il ne serait pas plus avisé, souvent, de tweeter "Mais se fait-il ?" plutôt que retweeter tous les "Comment se fait-ce ?" qui passent. Non ?

    Enfin ce que j'en dis, c'est pour causer ...