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Blog - Page 139

  • Splendeur de liberté

    « J'aime tant à me décharger et désobliger(1) que j'ai parfois compté à profit les ingratitudes, offenses et indignités que j'avais reçu(2) de ceux à qui, ou par nature ou par accident, j'avais quelque devoir d'amitié, prenant cette occasion de leur faute à autant d'acquis et décharge de ma dette.(...)

    Je suis bien déplaisant(3) qu'ils en vaillent moins, mais tant y a que(4) j'en épargne aussi quelque chose de mon application et engagement envers eux. (…)

    Après tout, selon que je m'entends en la science du bien-fait et de la reconnaissance, qui est une subtile science et de grand usage, je ne vois personne plus libre et moins endetté que je suis jusques à cette heure.»

    (Montaigne Essais livre III chapitre 9 De la vanité)

     

    (1)Me délivrer d'une obligation.

    (2)Aujourd'hui on serait tenu d'écrire reçues (règle du COD placé avant le verbe, pour ceux qui ont zappé le CE1). Les accords sont à l'époque assez souples. On peut accorder par proximité, ou bien avec un seul des éléments etc. Ou ne pas se soucier d'accord comme fait Montaigne ici.

    (3)Cela me déplaît beaucoup.

    (4)En contrepartie.

     

    Compté à profit, acquis et décharge de ma dette, j'en épargne quelque chose, plus libre et moins endetté : ce champ lexical de la dette est fréquent dans les Essais à propos du commerce que Montaigne entretient avec ses semblables.

    Il en ressort la plupart du temps que l'important pour lui est de se libérer du devoir. Expression qu'il faut entendre aussi au sens moral. L'éthique pour Montaigne est affaire de libre choix, non d'obligations morales ou religieuses (bon il dit aussi qu'il n'a pas toujours pu les éviter).

    En tous cas l'idée donne lieu, un peu plus haut dans ce chapitre, à l'une des plus belles et fortes formules du livre (à mon goût) :

    « Si l'action n'a quelque splendeur de liberté, elle n'a point de grâce ni d'honneur. »

    Splendeur de liberté : ça, c'est vraiment lui.

     

  • Le dessus du vent populaire

    « La faveur publique m'a donné un peu plus de hardiesse que je n'espérais, mais ce que je crains le plus, c'est de saouler ; j'aimerais mieux poindre(1) que lasser (…). La louange est toujours plaisante, de qui et pour quoi elle vienne ; si faut-il (2), pour s'en agréer justement, être informé de sa cause.

    Les imperfections même ont leur moyen de se recommander. L'estimation vulgaire et commune se voit peu heureuse en rencontre(3) ; et, de mon temps, je suis trompé si les pires écrits ne sont ceux qui ont gagné le dessus du vent populaire. »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 9 De la vanité)

     

    (1)Piquer, blesser.

    (2)Encore faut-il.

    (3)Se voit peu heureuse en rencontre : touche rarement juste.

     

    Sans vouloir extrapoler abusivement (quoique : pourquoi se refuser ce petit plaisir), je gage que si Montaigne vivait de nos jours, son scepticisme (voire mépris) à l'égard du dessus du vent populaire ne pourrait que le conduire à éviter les résasociaux.

    Je le vois en revanche user d'internet pour conférer à distance avec les honnêtes gens de sa connaissance.
    Et tenir un blog, qu'il intitulerait, voyons ... Essais ?

     

  • Moutarde après dîner

    « Mon entendement ne va pas toujours avant, il va à reculons aussi. Je ne me défie guère moins de mes fantaisies pour être secondes ou tierces que premières, ou présentes que passées. Nous nous corrigeons aussi sottement souvent comme nous corrigeons les autres.

    Mes premières publications furent de l'an mille cinq cents quatre vingts. Depuis d'un long trait de temps je me suis envieilli, mais assagi je ne le suis certes pas d'un pouce. Moi à cette heure et moi tantôt sommes bien deux ; mais quand meilleur ? Je n'en puis rien dire.

    Il ferait beau être vieil si nous marchions vers l'amendement. C'est un mouvement d'ivrogne titubant, vertigineux, informe, ou des jonchets que l'air manie casuellement selon soi(1). »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 9 De la vanité)

     

    (1)Au gré du hasard.

     

    Il ferait beau être vieil si nous marchions vers l'amendement : beau, je n'irais pas jusque là, mais disons que ça pourrait compenser (un peu) les désagréments du poids des ans (voire les désolations si affinités).

    Après, tout dépend de ce qu'on appelle amendement. Si c'est au sens éthique, Montaigne a raison je crois d'en douter. Peut être cependant la vieillesse rend-elle, de temps en temps, par ci par là, un peu moins con ?

    Le seul ennui c'est qu'on n'a plus franchement les moyens de faire quelque chose de cette évolution. Notre vieillesse aura beau savoir un peu plus, un peu mieux, les choses de la vie, que pourra-t-elle faire de ce savoir ?

    Bref comme il le dit un peu plus loin (III,10 De ménager sa volonté) : Moutarde après dîner …