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Blog - Page 72

  • Cruciverbiste (18) En canon et ad libitum

    On y est attiré par des sirènes. Solution : caves.

    Alors, voilà, lecteur, lectrice, je vais te faire un aveu. Contrairement à ma déontologie d'auteur que tu sais impeccable, j'ai légèrement bidouillé cette définition. C'était en fait : on y fut hélas attiré par des sirènes.

    Mais l'évidence m'a sauté aux yeux : le présent est plus approprié, non ? Le verbicruciste aurait pu d'emblée l'employer, vu qu'il y a toujours quelque part une guerre en cours, donc des bombardements, donc la nécessité de s'en abriter. Et bien content si l'on a des sirènes qui vous avertissent, et des caves où se réfugier.

    Quant à hélas oui bien sûr, mais c'est superflu. On sait depuis le vieil Homère où le chant de certaines sirènes nous mène, hélas.

    À nous fracasser de Charybde en Scylla.

    Sauf Ulysse évidemment, qui a pris ses précautions. Instruit par dix ans de guerre à Troie, il savait à l'avance ce que chanteraient les sirènes, virtuoses de la pulsion de mort.

    Hier aujourd'hui demain, ce chant reste le même hélas : Dieu(x) que la guerre est jolie, qu'elle est belle la haine, qu'il est bon de faire du mal. (Et du coup on se demande : ce malin d'Ulysse, qui sait s'il n'a pas voulu se payer le frisson de ces plaisirs glauques, mais sans les dégâts qui vont avec ?)

    Bref les sirènes lancent l'air de rien leur petite musique : un bout de terre où l'herbe est plus verte, une autre façon de croire ou de ne pas croire, une vieille rancoeur entre nations, entre ethnies ...

    Un refrain qui se répète, qui vous enveloppe comme un lancinant canon.

    Alors on se met à le reprendre en choeur, et c'est gagné : vogue la galère entre Charybde et Scylla. Indéfiniment.

    En effet, dès qu'on a accumulé suffisamment de morts de part et d'autre (et maintenant ça va vite, on n'en est plus au feu grégeois comme les petits joueurs des vieilles guerres), on se dit : ah ben non on va pas s'arrêter maintenant ce serait trahir nos morts. Alors on continue à trahir les vivants.

    Que l'on ne se mettra à respecter que lorsqu'ils seront assez morts pour mériter respect.

    Certains parfois sont tentés de s'arrêter, de dire pourquoi, à quoi bon, tentés de faire taire les sirènes.

    Mais ils hésitent : faudrait pas que les autres les prennent pour des caves, hein ?

     

    Allez, à la guerre comme à la guerre, la suite : affrontement à coups de pierres (2 lettres).

     

  • Cruciverbiste (17) Toucher le fond

    Son coup ne donne pas bonne mine. Solution : grisou.

    Grisou, ça pourrait être un mot en VO bisounourslandaise. Exemple le SMS : « Coucou Chouchou, n'oublie pas de prendre du pain en rentrant. Et puis Loulou a oublié son doudou à l'école, tu y passes ? Merci mon Minet et gros grisou. »

    Mais non le mot amène d'autres évocations : la force épique de Germinal, les gueules noires, la silicose, les explosions, les larmes et la sueur ravinant la suie sur les visages. Et puis la poigne de fer de Thatcher, de grands films britanniques aux héros humiliés mais qui trouvent dans leur solidarité la force de résister.

     

    On est paraît-il partagé sur l'étymologie de grisou. Certains y voient un mot wallon dérivé de grégeois (vous savez le feu grégeois capable de brûler sur l'eau, guerre de Cent ans tout ça). D'autres disent mais non le rapport c'est avec gris.

    Je ne saurais trancher, n'ayant jamais creusé la question.

     

    Les mines de charbon maintenant ferment ou sont fermées, certaines transformées en musée, dont un à Saint-Étienne que j'ai visité (pas avec Mémé, pour une fois). Quoique : fermées. En Allemagne et surtout en Pologne, elles restent pour beaucoup en activité.

    Et même ici on est en train d'en rouvrir, vu que la guerre d'Ukraine nous oblige à revoir notre approvisionnement en énergie. Guerre dont le foyer de départ est la région minière du Donbass*. Quand ça veut pas, hein …

    Quant à notre parade absolue à tous les problèmes d'énergie, j'ai nommé le nucléaire ? Ben euh. On commence à voir la réalité : si cette énergie passait pour être un bon calcul, c'est juste qu'on en minimisait (par cynisme ou optimisme ou les deux) le coût réel, en gestion des déchets, en entretien, en investissement pour améliorer la technique. Résultat le fiasco des EPR, les notes qui grimpent, et maintenant l'obligation de mettre des réacteurs à l'arrêt, sous peine de catastrophe, vu les négligences de maintenance depuis des années. Mais qu'importe, les actionnaires auront eu le temps de tirer leurs marrons du feu, c'est l'essentiel.

     

    Mais cessons de broyer du noir, positivons. Mon conseil au jeune qui cherche sa voie : mineur, c'est pas le bon filon, mon petit. Fais-toi plutôt lobbyiste pour une grande entreprise, tu auras pareil le plaisir du travail de sape, mais sans les dangers.

    Et terminons sur une charade (vous connaissez sans doute, mais c'est l'occasion).

    Mon premier est l'exclamation d'un touriste arrivant au petit matin dans un village de Lorraine, et tout étonné de trouver un café ouvert.

    Mon deuxième, ce sont deux sangsues au travail. (N.B. attention au piège, actionnaires du CAC quarante ne peut être la solution : ils sont plus de deux).

    Mon tout est une grande œuvre musicale.

    Réponse : Concerto en sol mineur de Beethoven. (Oui. Bon).

     

    Allez, pour rester dans la thématique « jusqu'ici tout va bien » : on y est attiré par des sirènes (5 lettres).

     

    *Voir Anthracite de Cédric Gras (Stock 2016), roman qui se passe en 2014 dans le Donbass : très éclairant sur cette guerre, sa genèse, les rapports entre Ukraine et Russie.

     

  • Cruciverbiste (16) Coup de chaud

    Lance l'eau du lac. Solution : canadair.

    Le calembour, plus ou moins habile, fait partie de la panoplie de tout verbicruciste qui se respecte. Il abonde par exemple dans les mots croisés du Canard Enchaîné, comme dans le titre de sa Une. Souvent tiré par les cheveux, et qui me met mal à l'aise quand il joue sur le nom des gens ou une particularité physique. Ça me fait trop penser à certaines victimes de cour de récré, poursuivies de quolibets parfois vraiment méchants.

    Rire du faible du malhabile du différent, façon si répandue de (se) prouver qu'on est fort, conforme aux normes sociales par où passe le pouvoir, la réussite ...

     

    Mais revenons à canadair. C'est un mot que je connais depuis longtemps, mais pas tout à fait depuis ma prime enfance cependant, car les canadairs ne sont arrivés que vers le milieu des années 60.

    Un mot un bruit une image : leur vrombissement, leur vol pataud de gros bourdon quand ils sont pleins d'eau, puis leur légèreté retrouvée après le largage.

    Pas de canadairs hélas lors du premier incendie dont je garde mémoire.

    Ce fut aux alentours de mes six ans et de la maison de mes grands parents (encore mais oui) qui était située sur les hauteurs à l'Est de Marseille. Un matin on aperçut de la fumée, lointaine d'abord, pas inquiétante, comme fondue dans le paysage.

    Et puis au fil de la journée, le feu s'est rapproché, la fumée s'est épaissie, et les flammes sont apparues en haut de la ligne des collines. Elles s'y sont cantonnées un moment, puis d'un seul coup se sont mises à dévaler les pentes, à une vitesse stupéfiante.

    L'odeur de plus en plus pénétrante du brûlé, la chaleur de plus en plus étouffante, le ciel qui s'obscurcissait : la bête avide se rapprochait de nous, dévorant méthodiquement la garrigue et les bosquets de pins. J'étais fascinée, paralysée.

    À un moment mes grands parents ont dit : il faut partir, là, maintenant, sinon on sera bloqué. Tandis que Mémé rassemblait à la hâte les papiers, quelques vêtements, bijoux et objets de valeur, je l'ai suivie de pièce en pièce, comme un petit chien : j'avais la conviction que tant que j'étais au plus près d'elle il ne m'arriverait rien, elle me protégerait de tout.

    Puis nous sommes montés dans la voiture, avec les chiens justement. Deux grands bergers allemands que la terreur, fort heureusement, incitait à faire profil bas : je ne les avais jamais vus si obéissants. Je restais calme moi aussi, imitant leur confiance animale, ne doutant pas que Pépé saurait nous conduire à distance du danger.

    Ensuite, jusque tard dans la nuit, du balcon de l'appartement de mes parents, nous avons regardé le feu poursuivre sa dévoration des collines.

    Je me souviens de mon désarroi en comprenant que la maison de Mémé, que j'avais toujours connue, où je me sentais si bien, pouvait être de ces pauvres choses humaines vouées à disparaître. Le feu allait l'avaler d'un coup de sa langue monstrueuse, dans une indifférence cruelle.

    (La maison ne brûla pas, elle se retrouva juste au bord d'un no man's land calciné).

     

    Tiens, histoire de continuer dans les catastrophes (indice) : son coup ne donne pas bonne mine (6 lettres).